Les impostures secrètes de Sarkozy

 

 

PhotoKarima Les Français mesurent chaque jour la capacité singulière de Nicolas Sarkozy à s’adapter avec adresse aux nécessités de la vie politique. Bien souvent imprévisibles, mais toujours mûrement réfléchies, ses innombrables initiatives rythment inlassablement le calendrier politique français.

Comme chacun a pu l’observer, le Président de la République est incontestablement reparti en campagne électorale, depuis la mise sur orbite à Grenoble, le 30 juillet dernier, d’une politique sécuritaire largement motivée par la montée en puissance du Front National et par les fortes inquiétudes que suscite à l’Elysée la popularité grandissante de son probable futur chef de file, Marine Le Pen. Son agenda politique est assurément des plus habiles, par delà les contingences inhérentes à la conduite quotidienne des affaires publiques, dont celles liées à la réforme des retraites.

En ce mois de septembre 2010, le chef de l’Etat s’est attelé à reconquête du suffrage des électeurs catholiques, passablement désorientés par la polémique entourant l’affaire des Roms. Comme pour mieux préparer la visite qu’il rendra au pape Benoit XVI, le 8 octobre[1] prochain à Rome où, deux ans après son fameux discours du Latran, il assistera à une « prière pour la France » en la basilique Saint-Pierre, Nicolas Sarkozy s’est rendu à Vézelay, le 30 septembre dernier, pour y célébrer «l’héritage chrétien»  de la France en la basilique Sainte Marie-Madeleine, avant d’assister le lendemain à l’Elysée, à une projection privée du désormais célèbre film de Xavier Beauvois, Des hommes et des Dieux, qui retrace si admirablement le martyr des moines trappistes de Tibhérine. Avec cette offensive de charme menée en direction des catholiques, le chef de l’Etat s’efforce assurément de renouer les fils du dialogue, aujourd’hui en panne, auprès d’une frange de son électorat qu’il avait su pourtant si bien gagner à lui lors des présidentielles de 2007 : chacun se souvient de son escapade, éminemment symbolique, à l’abbaye du Mont-Saint-Michel d’où il avait choisi de lancer intelligemment sa campagne présidentielle, le 12 janvier 2007.

A deux ans du prochain scrutin présidentiel, Nicolas Sarkozy cherche à séduire pareillement son électorat conservateur en exploitant, avec la thématique culturelle, un marqueur idéologique d’une puissance symbolique comparable. Le Président n’a-t-il pas enfin rendu publique, le 12 septembre dernier, sa décision de localiser le futur musée de l’Histoire de France dans les bâtiments des Archives nationales situés dans le quartier du Marais, à Paris, à l’occasion, qui plus est, des célébrations à Lascaux du 70ème anniversaire de la découverte de la grotte préhistorique ? En bonne logique, le chef de l’Etat devrait, ces prochaines semaines, multiplier les signaux dans ce domaine.

Mais Nicolas Sarkozy n’est pas Bernard de Clairvaux. Alors que la France est menacée de toute part, il n’a su prêcher, lors de son étape de Vézelay pas plus qu’auparavant, aucune de ces croisades décisives qui auraient pu restaurer l’espoir dans le cœur des Français.

Car, à y regarder de plus près, l’activisme hors pair du Président de la République et la magie de son verbe ne font plus recette. Trois ans après avoir porté à la tête de l’Etat une personnalité politique qui avait exercé sans grand succès les plus importantes responsabilités gouvernementales, durant les deux mandats présidentiels de Jacques Chirac, nos compatriotes réalisent à présent que Nicolas Sarkozy s’applique à masquer, sans le moindre état d’âme, les échecs manifestes de sa gestion des affaires publiques, en pariant une fois de plus sur les effets escomptés d’une politique de communication entièrement mise au service de ses ambitions électorales.

En matière culturelle, la faillite est totale. En trois ans de présidence, le contempteur de la Princesse de Clèves a installé un climat malsain dans l’univers feutré de la culture, en y multipliant partout les dérives mercantiles. Le « business des biens culturels », si parfaitement dénoncé par Marc Fumaroli (Le Monde, 2 octobre 2010), est désormais pratiqué tout azimut, y compris dans la noble enceinte du château de Versailles avec les expositions sacrilèges de Jeff Koons ou de Murakami. Cette financiarisation des pratiques culturelles s’est accompagnée, ces dernières années, d’une volonté méthodique de rupture en matière de transmission des savoirs : éviction des épreuves de culture générale dans les concours administratifs, éradication du grec et du latin du CAPES de Lettres classiques, bannissement dans l’enseignement de l’histoire au collège des grandes figures de notre mémoire historique, de Louis XIV à Napoléon, au profit d’une « ouverture aux autres civilisations » venant d’Afrique et d’Asie ; effacement délibéré de l’usage de la langue française, au profit de l’anglais, dans l’enseignement scolaire comme au sein des institutions internationales…

Les conséquences tragiques de ces renoncements, qui portent tant atteinte à l’identité profonde de notre pays, ne sont pas sans rapport, en vérité, avec l’insécurité anxiogène et l’anarchie chronique qui, ces dernières années, se sont solidement installées en France et singulièrement au sein de nos banlieues, qui n’en finissent pas de succomber sous les coups d’une politique de peuplement aveugle. Alors que rien n’est fait pour relever notre pays de l’affaissement de sa culture chrétienne séculaire, le déracinement des consciences contribue ainsi, en France plus qu’ailleurs, à la déshumanisation d’une société qui se fragmente partout au profit de communautarismes triomphants qui ne lui sont en rien naturels.

Cette impuissance politique du chef de l’Etat à redresser la barre s’observe tout autant au prisme des résultats médiocres d’un système éducatif à bout de souffle, pourtant gros consommateur de crédits et d’effectifs : ainsi seuls trois établissements français figurent parmi les 100 premières universités mondiales, selon le classement de Shanghai 2010, tandis qu’ un élève sort chaque année des collèges de notre pays en ne sachant à peine lire et compter, selon le dernier rapport du Haut Conseil de l’Education. Ce décrochage scolaire de notre jeunesse va de pair avec un taux de chômage préoccupant : ces deux dernières années, le chômage de longue durée frappant les moins de 25 ans a augmenté de 72 % et un tiers des diplômés n’ont pas trouvé d’emploi sur le marché du travail.

Le volontarisme politique de Nicolas Sarkozy marque le pas également dans le domaine économique. Bâti sur une prévision de croissance de 2 %, le projet de loi de finances 2011 prévoit de ramener le déficit public à 6 % de PIB l’année prochaine ce qui, par contrecoup, provoquera inévitablement un gel sévère des dépenses publiques qui affectera d’abord les plus démunis de nos compatriotes. Autant dès lors se l’avouer : avec une reprise économique qui tarde à redémarrer, à la différence de nos voisins d’outre-Rhin et surtout des pays émergents, aux ambitions prédatrices, nos compatriotes ne pourront guère tabler l’année prochaine, sur le terrain de l’emploi, que sur une stabilisation laborieuse du chômage, sans pouvoir espérer dans le même temps de la puissance publique, la réalisation d’investissements massifs dans les secteurs économiques d’avenir.

Avec une économie en berne, la France devra donc se serrer partout la ceinture y compris en matière militaire même si, en apparence, la contribution du Ministère de la Défense Nationale à l’effort de réduction des déficits sera relativement limitée en 2011. En réalité, la réduction constante des crédits militaires alloués à nos armées s’intensifie d’année en année, au point d’hypothéquer durablement les capacités opérationnelles de la France sur les théâtres d’interventions extérieures et de nuire ainsi gravement à son rayonnement international, déjà fortement compromis, depuis trois ans, par l’alignement systématique de notre pays sur la politique extérieure des Etats-Unis et par son retour, en rien profitable pour ses intérêts, au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN.

Avec l’impasse actuelle de la construction européenne, les Français entretiennent légitimement à l’égard du chef de l’Etat un motif de désillusion autrement plus tragique. Aux yeux des observateurs, Nicolas Sarkozy restera certainement celui qui, parmi les présidents de la Vème République, aura le plus activement dépouillé la France des attributs de sa souveraineté, en accélérant, durant son funeste quinquennat, l’assujettissement prévisible de notre pays à l’ensemble supranational européen.

Certes, le Président de la République sait, en fin tacticien, multiplier ad nauseam les écrans de fumée pour tenter de faire diversion. Notre orfèvre en dissimulation n’aura-t-il pas ainsi dernièrement monté en épingle l’affaire des Roms pour des motifs de politique intérieure, en employant abusivement à l’égard de cette population vulnérable le procédé si peu courageux du bouc émissaire, tout en se campant habilement, hors de nos frontières, sous les traits du meilleur avocat des intérêts d’une France outrageusement bafouée par la Commission de Bruxelles ?

Si le chef de l’Etat, véritable Fregoli de la politique européenne, tonne parfois contre les institutions européennes, ce n’est, en réalité, que pour mieux s’entendre secrètement avec la Commission sur le dos des Français qui auront tôt fait d’en prendre conscience, non sans s’inquiéter le moment venu des effets dévastateurs pour notre pays d’un Traité de Lisbonne ratifié au forceps par la voie parlementaire, au mépris de l’hostilité à ce texte massivement exprimée par nos compatriotes, lors du référendum de mai 2005.

Et, en la matière, les pièces à charge sont accablantes.

Après avoir fait sauter, en 2008, le verrou constitutionnel qui obligeait les pouvoirs publics à soumettre tout nouvel élargissement de l’Union européenne à l’approbation référendaire du peuple français, Nicolas Sarkozy persiste plus que jamais à entretenir le doute sur ses intentions réelles à l’égard de la Turquie qui, de son côté, poursuit discrètement les négociations en vue de sa prochaine adhésion, avec la complicité active de la Commission européenne, laquelle, de surcroît, ne décourage en rien la manifestation de nouvelles candidatures à un ensemble européen dont nul ne s’avise par ailleurs à définir les limites géographiques.

Le rouleau compresseur des souverainetés nationales agit désormais sans freins à Bruxelles. Dépouillés de leur souveraineté monétaire, depuis la création d’une zone euro placée sous le contrôle tatillon de la BCE, les Français assistent impuissants, depuis trois mois, à la fin programmée de rien moins que trois des attributions régaliennes majeures de l’Etat avec, à chaque fois, l’assentiment explicite de Nicolas Sarkozy.

D’abord, les atteintes à la souveraineté budgétaire de la France. Notre pays devra dorénavant soumettre son projet de budget, avant son examen parlementaire, au contrôle préalable des autorités européennes qui disposeront désormais d’un droit de regard sur son élaboration, lesquelles bénéficieront de la faculté prochaine de lui imposer, au surplus, une sanction financière égale à 0,2 % de son PIB, si la France devait ne pas se conformer pas aux critères du Pacte de stabilité (déficit budgétaire et dette inférieurs à 3% et 60 % du PIB).

Ensuite, les coups portés à sa souveraineté fiscale. Non seulement la France peut se voir sommer aujourd’hui d’abolir une taxe qu’elle aurait librement choisie, à l’exemple de sa récente taxe sur les télécoms condamnée ces derniers jours par la Commission pour des motifs critiquables tirés de la libéralisation de ce secteur d’activité, mais elle doit consentir dans le même temps à son assujettissement à une fiscalité que les autorités de Bruxelles s’autoriseront désormais à lever partout au sein de l’Union européenne, en profitant au passage de recettes qui seront appelées à alimenter directement les caisses européennes.

Enfin, les entorses à sa souveraineté diplomatique. L’Union européenne vient de se doter d’un corps diplomatique considérable (30 représentations à l’étranger pour un service qui emploiera à terme 6.000 à 7.000 personnes), pudiquement désigné sous l’appellation de Service européen pour l’action extérieure (SEAE), dont les ambitions ne peuvent pour l’heure que concurrencer un Quai d’Orsay à l’agonie qui, de réductions drastiques de crédits en fermetures massives de représentations diplomatiques, voit ses services inexorablement saignés à blanc.

Comment a-t-on pu arriver à pareille fuite en avant ?

Cédant sans doute au pessimisme autant qu’au conformisme ambiants, Nicolas Sarkozy a fait secrètement le choix, à la suite des oligarchies politico-médiatiques, de renoncer à la présence au monde de la France, à son rayonnement comme à son influence séculaires. Pour le président Sarkozy, la France est sortie définitivement de l’Histoire et rien ni personne ne sauraient faire obstacle à ce trait inéluctable de l’aventure humaine. La pensée du chef de l’Etat reste au fond terriblement dominée par les logiques sournoises d’une idéologie mondialiste qui voudrait ne voir, dans le phénomène de la globalisation des échanges économiques, des savoirs et de l’information, que l’expression d’un mouvement historique irréversible, dont la récente accélération donnerait aujourd’hui naissance, grâce à l’abolition définitive des frontières du passé, à un monde nouveau, forcément fascinant, celui en bref du dépassement heureux des nations. Dans cet ordre d’idées, la France ne se voit-elle pas offrir, avec le mythe prométhéen de la construction européenne, l’occasion historique de dépasser enfin ses frontières hexagonales étriquées et de s’en affranchir définitivement ?

Cette vision post-nationale des rapports internationaux, qui refuse d’admettre la force et le poids de l’histoire autant que la réalité prégnante des solidarités et des enracinements locaux, la plupart des personnalités politiques françaises du moment la partagent, y compris le très probable compétiteur du chef de l’Etat à la prochaine course présidentielle, Dominique Strauss-Khan.

Sans crainte du ridicule, l’actuel directeur du FMI avait porté un regard des plus instructifs, voici peu, au sujet de l’évolution de la construction européenne : « Ce dont je suis sûr, c’est que si l’Europe existe, elle ne sera pas enfermée entre deux frontières ridicules que seraient le détroit de Gibraltar et le Bosphore. J’imagine un enseignant de géographie dans cinquante ans, il dira à ses jeunes élèves : « Voyez, là il y a la Chine, là il y a l’Amérique, là il y a le Brésil », s’il leur dit « là il y a l’Europe », montrant ce bout de péninsule asiatique que l’on appelle l’Europe, il leur montrera un ensemble allant des glaces de l’Arctique au nord jusqu’aux sables du Sahara au Sud. Et cette Europe, si elle continue d’exister aura, je crois, reconstitué la Méditerranée comme mer intérieure, et aura reconstitué l’espace que les Romains, ou Napoléon plus récemment, ont tenté de constituer » (entretien accordé à la revue Le Meilleur des mondes, automne 2006).

A l’exemple sans doute de l’hôte actuel de l’Elysée, Dominique Strauss-Khan n’en finit pas de s’émerveiller à l’idée de l’avènement d’un Babel européen des temps nouveaux dont les généreuses et si peu hermétiques frontières parcouraient inconsidérément le monde, de Narvik au nord à Tombouctou au sud, de Reykjavik à l’Ouest à Bakou à l’Est !

Nicolas Sarkozy ne saurait plus longtemps dissimuler aux yeux des Français ses intentions inavouables, même si, à en croire le cardinal de Retz, on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens.

A défaut de pouvoir discerner les traits de ses ambitions occultes, nos compatriotes ont assurément le droit irrécusable de connaître du chef de l’Etat les échéances précises de son agenda secret, pour en discuter, en accepter ou en rejeter démocratiquement les termes. Cette exigence de vérité, Nicolas Sarkozy la doit aux Français, eux qui n’attendent rien d’autre du Président de la République, dans les temps semés d’embûches qui s’annoncent, que de connaître sincèrement le sort qui sera réservé à notre pays.

En dépit des complaisances, des lâchetés et des renoncements qui se multiplient partout, les Français demeurent confiants dans l’avenir de notre pays. En leurs fors intérieurs, nos compatriotes partagent une même et intime conviction, qui fait écho à la noble vertu théologale de l’espérance, si magnifiquement évoquée par Paul-Marie Coûteaux dans son dernier ouvrage (De Gaulle, Espérer contre tout – Editions Xénia) : admirée pour la force de son rayonnement, vénérée pour les ressources de son génie ou crainte pour les ressorts d’une puissance bienveillante qui demeurent malgré tout intacts, la France ne saurait ainsi succomber sous les coups de ceux qui voudraient, en vain, l’entraîner vers l’abîme. Ses ennemis ne savent-ils pas, en définitive, que la France existera toujours, pour elle-même d’abord, pour son peuple ensuite, comme pour tous ceux qui, enfin, hors de nos frontières, lui vouent éternellement un amour infini ?

Karim Ouchikh

 


[1] Texte rédigé le 5 octobre.

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