Hortefeux et Besson rivalisent sur la déchéance de nationalité

 

 

brice-hortefeuxLequel des deux trouvera grâce aux yeux de Nicolas Sarkozy ? Brice Hortefeux, le ministre de l’intérieur, et Éric Besson, le ministre de l’immigration, sont en désaccord sur les modalités de la déchéance de nationalité. Non pas sur le principe de la réforme annoncée par le président de la République lors de son discours de Grenoble fin juillet 2010, mais sur son périmètre.

L’arbitrage élyséen devrait intervenir la semaine prochaine sur des amendements gouvernementaux susceptibles d’être intégrés au projet de loi sur l’immigration examiné à l’Assemblée nationale à partir du 27 septembre.

ericbesson4En pleine surenchère sécuritaire, le premier flic de France a fait de cette question une priorité depuis l’«affaire» Lies Hebbadj, du nom de ce Français musulman de Loire-Atlantique, soupçonné de polygamie et de fraude aux prestations sociales. Refusant de laisser Éric Besson gérer seul le dossier, l’ex-ministre de l’immigration semble regretter, ces dernières semaines, sa précédente affectation, comme en témoignent également ses nombreuses interventions sur les expulsions de Roms. 

Révélé vendredi 27 août dans Libération, le projet de Brice Hortefeux ajoute la polygamie «de fait» aux motifs de déchéance de nationalité pour les Français naturalisés. Pour cela, il crée un «délit de “polygamie de fait, escroquerie, abus de faiblesse”» et prévoit que «le fait, pour une personne engagée dans les liens du mariage, de tirer profit ou de partager le produit, de manière inhabituelle, de prestations sociales indûment perçues, à la suite de déclarations inexactes ou incomplètes, par un tiers avec lequel il a contracté une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende». Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende «lorsque l’infraction est commise en profitant de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse» du partenaire.

Ce dispositif apparaît fragile juridiquement tant il soulève de questions: qu’est-ce que la polygamie «de fait», sinon l’adultère? Comment définir une «union de fait»? Quand commence une «vie commune»? Comment prouver que quelqu’un tire profit ou partage le «produit de prestations indûment perçues»?

Risques d’inconstitutionnalité

La déchéance de nationalité est aujourd’hui réservée aux crimes et délits constituant «une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation» ou «un acte de terrorisme» (article 25 du Code civil), à condition, en outre, que la personne dispose d’une autre nationalité (afin qu’elle ne devienne pas apatride) et qu’elle ait acquis la nationalité française depuis moins de 10 ou 15 ans selon les cas. Faire de la fraude aux prestations familiales un motif de déchéance risquerait ainsi de contrevenir au principe de proportionnalité des peines. 

Ni le ministre de l’immigration, ni la ministre de la justice ne veulent aller sur ce terrain glissant. L’un et l’autre préfèrent s’en tenir au discours de Grenoble au cours duquel Nicolas Sarkozy avait demandé que la nationalité puisse «être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte» à la vie d’un policier, d’un gendarme ou de tout autre «dépositaire de l’autorité publique». Face au tollé provoqué par l’abus de langage du chef de l’État, la référence aux «personnes d’origine étrangère» a été remplacée par la mention aux personnes ayant acquis la nationalité française au cours de leur vie. Le président de la République n’ayant pas évoqué la polygamie, Éric Besson et Michèle Alliot-Marie l’ont laissée de côté.

Le risque de banalisation n’en est pas moins encore présent. Et, là aussi, les risques d’inconstitutionnalité bien réels, puisqu’une telle mesure pourrait être jugée contraire à l’article 1er de la Constitution qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens «sans distinction d’origine, de race ou de religion».

Pour appuyer sa proposition, le ministre de l’immigration se réfère à la situation légale d’avant 1998 quand il était possible de déchoir de leur nationalité des personnes devenues françaises depuis moins de dix ans condamnées à au moins cinq ans de prison. C’est à celle d’avant 1993 qu’il suggère de revenir concernant l’acquisition de la nationalité à 18 ans. Cette autre commande de Nicolas Sarkozy devrait également prendre la forme d’un amendement stipulant que la procédure ne sera plus automatique, comme elle l’est actuellement, pour les jeunes «ancrés dans la délinquance».

Avant même l’intervention estivale du chef de l’État sur la sécurité, Éric Besson avait de lui-même prévu de durcir la législation en liant, dans son projet de loi, l’acquisition de la nationalité à la signature d’une «charte des droits et devoirs du citoyen» confirmant «l’adhésion aux principes et valeurs de la République». À ce moment-là, il s’agissait d’exclure le voile intégral de la communauté nationale.

Carine Fouteau

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