Partis de poche : l’UMP très loin devant

 

 

Le «parti de poche» est-il une spécificité de l’UMP ? Le PS n’aurait-il pas, dans ses tiroirs, plusieurs spécimens de ces formations hétérodoxes (découvertes à travers les chèques que Liliane Bettencourt aurait adressés à l’«Association de soutien à l’action d’Eric Woerth» et à l’«Association de soutien à l’action de Nicolas Sarkozy»)? Le 30 juin dernier, François Fillon, interpellé à l’Assemblée nationale sur ce sujet, avait affirmé : «Il y en a (…) sans doute autant à gauche qu’à droite.»

Pour vérifier, Mediapart s’est lancé dans une tentative d’inventaire des partis de métropole. Comme les comptes des années 2009 et 2010 n’ont pas encore été rendus publics, nous avons épluché le répertoire des quelque deux cents formations «ayant satisfait à leurs obligations légales» en 2007, l’année clef des élections présidentielle et législatives. A cette époque, les jeunes micro-partis des ministres Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Rama Yade ou Benoist Apparu n’existaient pas encore, pas plus que les formations des députés UMP Franck Riester ou Jean-François Lamour. Le rythme des lancements s’est emballé ces derniers mois…

Après plusieurs jours passés à décortiquer le répertoire de 2007, il s’avère impossible de livrer une typologie exhaustive, une poignée de partis restant «mystérieux». Mais l’exercice ne laisse aucun doute : les structures satellites sont d’abord une spécialité de l’UMP.

clip_image002 Dans la galaxie socialiste

 

La rue de Solferino condamne le principe même des «partis de poche», qui permettent aux particuliers aisés de multiplier les dons à leur famille politique (légalement plafonnés à 7.500 euros par an et par parti). Le trésorier du PS, Régis Juanico, jure les «surveiller comme le lait sur le feu». Mediapart, toutefois, en a déniché quelques-uns – sans compter qu’une poignée a bien dû nous échapper. Tous ces micro-partis ne soulèvent certes pas les mêmes questions, selon qu’ils ont une assise nationale ou locale, incarnent une vraie tendance ou non, collectent ou pas des dons.

• «Dessinons l’avenir avec Alain Girard» : dédié au maire socialiste de Crosne (Essonne), c’est un pur parti de poche. Ses comptes montrent quelques cotisations d’adhérents (45 petits euros en 2008), ainsi que des contributions d’élus municipaux (16.844 euros en 2008), mais il collecte aussi des dons de personnes physiques : 1.100 euros en 2006, 7.680 en 2007, 3.680 en 2008. Si ces sommes restent mineures, elles viennent aujourd’hui parasiter la communication de la rue de Solferino… En 2008, année des municipales, 16.635 euros ont ainsi été déboursés pour «prise en charge de dépenses électorales»… Alain Girard a certes quitté le PS en 2009, pour rejoindre le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, mais il vient tout juste de rentrer au bercail (début juin).

• «Aimer Angers» : cette formation du maire PS, Jean-Claude Antonini, n’engrange «par choix» aucun don, comme l’attestent les comptes de 2006, 2007 et 2008. Pour l’entourage de l’édile, elle n’a rien à voir avec les «partis de poche», réseaux parallèles de collecte de dons. «Aimer Angers» fonctionne essentiellement avec les contributions versées par les élus de la majorité angevine. Et vit surtout sur ses réserves – qui dépassaient les 200.000 euros en 2008 ! Ces dernières ont par exemple servi à l’achat de sondages politiques – que le maire refuserait, selon un proche, «de faire payer par la ville». Elles ont surtout financé la campagne municipale de 2008… A la mairie, on ne voit dans tout cela «aucun problème moral», tout en concédant n’en avoir jamais discuté avec le trésorier du PS. Ça ne devrait plus tarder… Au passage, l’entourage de Jean-Claude Antonini explique être «en relation avec des socialistes d’autres villes France», qui songent à copier le «modèle»… Déjà, à Toulouse, les élus du conseil régional disposent de leur «Union des socialistes pour Midi-Pyrénées» (86.786 euros de réserves fin 2008). Ce type de structure «autogérée», en effet, s’avère bien pratique pour les «menues» dépenses (plutôt que de faire appel systématiquement aux fédérations départementales du PS)…

«Francheville au cœur» : ce micro-parti supporte René Lambert, maire PS de la banlieue lyonnaise. Lui non plus ne collecte pas de don ; il vit grâce aux seules cotisations de ses adhérents. En 2008, année d’élections municipales, 13.000 euros ont été décaissés… Montant de la cagnotte en réserve : 16.756 euros.

Les trois prétendants à l’investiture socialiste en 2006, Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius, soumis à des primaires internes, ont à l’époque créé une formation pour porter leur courant. Ces formations furent respectivement baptisées «Désirs d’avenir», «Rassemblement pour la démocratie et la solidarité» et «Agir pour l’égalité». En 2006, le premier avait capté 92.675 euros de dons, la deuxième 162.060 euros, la troisième 84.564 euros. Les primaires terminées, qu’ont-ils fait de leurs micro-partis ?

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Ségolène Royal a continué de faire vivre Désirs d’avenir, en tant que formation politique, jusqu’à la fin de 2008 (après avoir amassé 86.424 euros de dons en 2007 et 97.322 euros l’année suivante). En 2008, les cotisations des adhérents ont par ailleurs atteint la somme de 144.331 euros. Depuis, la structure fonctionne en «association loi 1901», un statut qui lui procure avantages et inconvénients : les dons ne sont plus plafonnés, mais plus du tout défiscalisés ; les comptes ne sont plus vérifiés par la Commission nationale chargée de contrôler le financement de la vie politique, mais Désirs d’avenir n’a plus le droit de subventionner une campagne électorale à hauteur de plus de 4.600 euros. Toutefois, si Ségolène Royal voulait exploiter ses réserves pour financer demain une nouvelle candidature, elle aurait tout loisir de redemander l’agrément «parti politique» à la Commission – qui n’aurait pas réellement les moyens de s’y opposer. 

 clip_image006Dominique Strauss-Kahn : son micro-parti (dépourvu d’adhérents) s’est un peu assoupi, avec 10.400 euros de dons recueillis en 2007, puis seulement 4.000 euros en 2008. Le patron du FMI peut toutefois «réveiller» sa structure à tout moment… A noter : la Commission a reproché au trésorier de ne pas respecter les règles sur la distribution de «reçus» aux bienfaiteurs (indispensables pour que la régularité des dons soit vérifiée). 

clip_image008Laurent Fabius : «Agir pour l’égalité» (sans adhérent) a touché 3.050 de dons en 2007, puis 7.975 euros en 2008. Cette année-là, il lui restait 10.556 euros de réserves. Pour Régis Juanico, trésorier du PS, «c’est une structure dormante, comme celle des strauss-kahniens»; il compte les prier d’abandonner leur statut de parti.

• Manuel Valls : encouragé par le «précédent» de 2006, le député de l’Essonne, challenger déclaré pour les primaires de 2011, a lancé son micro-parti en décembre dernier, pour récolter des dons et financer sa campagne interne. Selon lui, il s’agissait de combler un vide : la rue de Solferino n’a toujours pas annoncé quelle somme serait attribuée aux différents candidats… Manuel Valls craint, si un poids lourd se présentait, d’être défavorisé. Baptisé «A Gauche, besoin d’optimisme», sa structure devrait cependant mettre la clef sous la porte, à la demande du trésorier du PS. Au passage, il faut noter que le représentant de l’aile droite du parti socialiste n’en est pas à son coup d’essai. En réalité, dès juin 2008, Manuel Valls avait créé un premier think-tank au statut de formation politique, «Cercle 21, gauche et modernité», dissous en décembre 2009. Le courant «L’Espoir à gauche», piloté par Vincent Peillon, avait envisagé de suivre son exemple, mais n’est jamais passé à l’acte.

Aujourd’hui, que vont devenir ces formations satellites ? Mardi 20 juillet, l’ancienne garde des Sceaux, Elisabeth Guigou, a réclamé la prohibition pure et simple des micro-partis, au PS comme ailleurs, qui constituent à ses yeux un «contournement de la loi sur le financement de la vie politique». Pour l’heure, à l’Assemblée nationale, le groupe socialiste planche sur plusieurs propositions de loi, pour interdire les doubles adhésions aux parlementaires (comme à leurs suppléants), mais aussi pour plafonner les dons à 7.500 euros tous partis confondus.

Enfin, il faut noter qu’à gauche, le PS n’a pas le monopole des micro-partis. En 2008, le député Jean-Pierre Brard, ancien-PCF, leader du CAP (Convention pour une alternative progressiste), s’appuyait localement sur le «Comité des citoyens montreuillois» (16.555 euros de dons en 2007, 1.768 euros en 2008). Egalement au CAP, l’ancien communiste Gaston Viens, maire d’Orly de 1965 à 2009, bénéficiait lui du soutien d’«Arias 94» (7.774 euros de dons en 2007, 3.065 en 2008).

Côté Parti radical de gauche, on tombe également sur l’«Association démocratie et liberté» (basée à Fleurance), placée au service du sénateur du Gers Raymond Vall (330 euros de dons en 2007, 1.755 euros en 2008). 

A l’arrivée, la gauche, avec ses initiatives isolées, semble bien à la traîne de la majorité. A l’UMP, il s’agit d’un véritable système, encouragé par le siège, qui a diffusé sur son site – jusqu’au vendredi 23 juillet – un véritable mode d’emploi du parti de poche à l’intention de ses élus (si le document a été supprimé, la version téléchargée par Mediapart reste disponible ici).

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Dans l’orbite de l’UMP

 Puisqu’il faut bien faire un tri, laissons de côté les vrais «clubs», qui incarnent une sensibilité à l’UMP, organisent leur lot d’activités, et disposent d’adhérents en chair et en os (tels «France.9» de François Fillon, «Le Chêne» gaulliste de Michèle Alliot-Marie, «Dialogue et Initiative» de Jean-Pierre Raffarin, «Génération France.fr» de Jean-François Copé, le «Forum des républicains sociaux» de Christine Boutin, voire «La Gauche moderne» de l’ex-socialiste Jean-Marie Bockel) – même si certains drainent des fonds considérables.

Concentrons-nous plutôt sur les micro-partis à vocation locale, qui permettent aux élus de financer leurs campagnes à domicile. Parmi les ministres, Christian Estrosi (à l’Industrie), maire de Nice, jouit ainsi d’une structure «maison», «Alliance Méditerranée-Alpes» (21.605 euros de dons en 2007, 64.155 euros en 2008). Idem pour le secrétaire d’Etat aux transports, Dominique Bussereau, qui dispose d’une «Association pour l’avenir de la Haute Saintonge et de la Saintonge atlantique» (seulement 395 euros de dons en 2007, 750 euros en 2008)…

Pour appréhender l’ampleur du phénomène chez les parlementaires UMP, voici en vrac quelques exemples de structures (repérées sur la liste de 2007 malgré des noms souvent abscons):

La députée Françoise de Panafieu a bénéficié pendant 4 ans d’un maxi-parti de poche, «Pour un Paris gagnant», chargé par l’UMP de compléter le financement de sa campagne municipale de 2008 (337.440 euros de dons amassés en 2007, 272.985 euros en 2008). Voir l’article de Mediapart.

Le député du Val-d’Oise Georges Mothron a pu s’appuyer sur «Argenteuil que nous aimons »: 435 euros de dons en 2007, 13.765 euros en 2008 (dont 1.800 illico reversés à l’UMP).

Le député de Seine-et-Marne Yves Jégo (ancien ministre de l’outre-mer dans le gouvernement Fillon) a développé le «Mouvement des Seine-et-Marnais» : 25.745 euros de dons en 2007, 38.104 euros en 2008. Sa spécificité ? Yves Jégo a reproduit, à son échelle, une sorte de «Premier cercle» (ce «club » imaginé par Eric Woerth pour regrouper les plus gros bienfaiteurs de l’UMP). Son nom ? «Fidelis». Pour le rejoindre, il suffit de débourser 1.000 euros… «Vous souhaitez avoir un lien direct avec Yves Jégo?, invite la réclame (reproduite ci-dessous). (Avec Fidelis), soyez son invité privilégié à des conférences, soirées, ou manifestations…»

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Le député du Val-de-Marne Gilles Carrez (pilier du groupe UMP à l’Assemblée, en tant que rapporteur général du budget) a étoffé son micro-parti à Champigny, baptisé «Convergences»: 9.075 euros de dons en 2007, 17.855 euros en 2008. En 2007, cette ville était d’ailleurs un repère de «micro-partis», puisque Vincent Chriqui (un jeune fidèle de François Fillon, aujourd’hui à la tête du Conseil d’analyse stratégique à Matignon), avait aussi créé «Convergences Champigny», pour tenter de s’implanter – battu aux dernières municipales, il s’est depuis «relocalisé» dans l’Isère…

Le député de Paris Claude Goasguen, maire du XVIe arrondissement, a bénéficié de l’«Union pour l’avenir du XVIe Sud»: 38.890 euros de dons en 2007, 43.413 euros en 2008 (année où ce micro-parti a pris en charge 2.609 euros de «dépenses électorales» aux municipales)…

Le député des Hauts-de-Seine Patrick Balkany, vieil ami de Nicolas Sarkozy, a pu compter sur le «Rassemblement pour Levallois»: 70.453 euros de dons en 2007, 89.754 en 2008. Dans ce département, on peut citer aussi l’ex-député Philippe Pemezec, dont l’élection en 2007 a été annulée par le Conseil constitutionnel (son compte de campagne ayant été rejeté)… Philippe Pemezec, réélu maire du Plessis-Robinson, avait le soutien en 2007 d’«Idées-Force» (67.175 euros de dons cette année-là, 66.155 euros en 2008).

•  Le député du Rhône Dominique Perben (battu au premier tour des municipales de 2008 dans son arrondissement) a profité de «Lyon nouvel horizon»: 111.015 de dons en 2007, 214.931 euros en 2008 (dont 98.322 euros dépensés en «communication»).

Le député des Bouches-du-Rhône Richard Mallié (questeur de l’Assemblée nationale, c’est-à-dire en charge des deniers du Palais-Bourbon) ne s’est pas caché derrière son petit doigt, puis que son parti de poche marseillais s’appelle «Les amis de Richard Mallié»: 92.680 de dons en 2007, 36.142 euros en 2008.

Le député Dominique Dord s’est appuyé – chichement – sur «Action Savoie première» : 235 euros de dons en 2007, 200 euros en 2008. Avec «Savoie d’aujourd’hui», son collègue Michel Bouvard a collecté, de son côté, 2.814 euros, puis 3.285 euros.

La sénatrice du Bas-Rhin Fabienne Keller a pu compter sur son parti local, l’«Union pour Strasbourg» : 2.462 euros de dons en 2007, 671 euros en 2008. Cette dernière année, 45.927 euros ont été, très officiellement, affectés au financement de campagnes électorales…

La députée du Val-de-Marne Marie-Anne Montchamp, villepiniste, a longtemps été supportée par «Id-Est, des idées à l’Est de Paris»: 6.500 euros de dons en 2007.

Le député du Tarn, Bernard Carayon, a bénéficié du soutien de «Vivre ensemble pour le Tarn»: 1.430 euros en 2007, 25.370 euros en 2008.

A ce stade, la somme des dons amassés par cette seule douzaine de micro-partis atteignait déjà plus de 770.000 euros en 2007 ; plus de 820.000 euros en 2008…

A cette cagnotte, il faudrait bien sûr ajouter les montants récoltés par les micro-partis des élus de base (maires, etc.)… A titre purement illustratif, on peut citer:

•  «Réussir en Dordogne», derrière le maire de Sarlat, Jean-Jacques de Peretti, ex-conseiller de Jacques Chirac et ministre d’Alain Juppé (21.887 euros de dons en 2007, 34.940 euros en 2008).

•  «Sud-Est toulousain pour tous», au service de l’ancien maire Jean-Luc Moudenc (4.000 euros de dons en 2007, 15.010 en 2008).

•  «Union pour le Val-de-Marne», aux côtés de Christian Cambon, ex-sénateur  (3.500 euros en 2007, 0 en 2008).

Sans oublier les exemples piochés parmi les autres composantes de la majorité :

• Le radical valoisien Gérard Tremege, maire de Tarbes, a pu compter pour les municipales sur «Tarbes 2008» (1.415 euros de dons en 2007, 3.400 euros en 2008).

• L’ancien socialiste Philippe Sanmarco (aujourd’hui Gauche moderne), élu municipal à Marseille, avait sa «Convention citoyenne» (625 euros de dons en 2007, 829 euros en 2008).  

La démonstration peut sans doute s’arrêter là. «Statistiquement, c’est vrai», les micro-partis touchent davantage la droite que la gauche, reconnaît François Logerot, le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Lundi 19 juillet, François Fillon a voulu relativiser : «L’important, c’est que ce soit transparent, et c’est transparent.» Mais dès le lendemain, le député Pierre Méhaignerie, centriste de l’UMP, se déclarait favorable à «une réglementation de toutes ces associations parallèles»

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