Pujadas, ou la misère du présentateurisme

 

  • Eric Conan – Marianne – Vendredi 16 Juillet 2010

david-pujadas Le choix d’un présentateur de JT pour interviewer le Président de la République laissait déjà à désirer. Mais quand le présentateur en question refuse tout ce qui peut ressembler à une confrontation, difficile de ne pas relever l’absurdité de ce choix. Quand l’amateurisme journalistique le dispute à l’impassibilité du présentateur, cela donne le «présentateurisme».

Le présentateurisme est au journalisme ce que le massage thaïlandais est à la chirurgie d’urgence. David Pujadas nous en a offert une nouvelle illustration face à Nicolas Sarkozy, lundi dernier. Choisir pour interroger le Président de la République l’homme-tronc du 20 heures de France 2, dont l’activité principale consiste, chaque soir, à « passer » les sujets comme on passe les plats, ne pouvait que déboucher sur le consternant exercice auquel nous avons assisté. Nous étions même en deçà de l’habituel journalisme douanier (« Qu’avez-vous à déclarer ? »), puisque David Pujadas a soigneusement évité les questions les plus simples et les plus embarrassantes sur l’affaire Woerth-Bettencourt. Mais c’est son impassibilité béate face aux mensonges et astuces proférés par le Président sur la fiscalité et les retraites qui confirmait que l’exercice relevait plus de la communication que de l’information que l’on est en droit d’attendre d’une chaîne de service public.

La première faute de France 2 (à moins que cela soit un choix délibéré négocié avec l’Elysée) fut de concevoir cet échange en décidant de mettre un seul interlocuteur – et un présentateur – face à un Président qui n’a jamais manqué d’habileté face à plusieurs journalistes sérieux. La deuxième faute concerne plus personnellement David Pujadas : lorsqu’on a la vanité d’accepter ce rôle en solo, on prépare un minimum la confrontation. Dans ce cas de figure, il n’est évidemment guère envisageable d’être incollable sur tous les détails évoqués, mais en revanche il n’est pas admissible de se faire balader sans répliquer lorsque Nicolas Sarkozy réitère des mensonges grossiers sur des questions connues qui ont déjà largement fait polémique et que tout journaliste s’intéressant à la politique, même doté d’une attention flottante, ne peut pas ignorer. A fortiori lorsqu’il est au cœur d’une rédaction comme celle de France 2.

Quelques exemples seulement. « Il existait avant mon élection des contribuables qui payaient 100% d’impôt, c’est-à-dire il gagnait 1000, ils payaient 1000 et ils partaient tous », a affirmé le Président sans être contredit par Pujadas. Pratiquement, personne n’a jamais payé 100% d’impôts et le bouclier fiscal, contrairement à ce que répète le Président, n’a pas pour effet de limiter la taxation des revenus réels à 50 % mais plutôt autour de 20% comme on l’a vu avec Madame Bettencourt. Toute aussi fausse son affirmation selon laquelle « le bouclier fiscal existe en Allemagne depuis plus de vingt ans ». Il n’y a jamais eu de bouclier fiscal en Allemagne, mais une décision de la Cour constitutionnelle qui ne concernait d’ailleurs que l’impôt sur la fortune et qui a été supprimée depuis, comme nombre de mises au point l’ont rappelé dans la presse ces derniers mois. Ne parlons pas des « résultats spectaculaires » en matière de sécurité qu’a encore revendiqués le Président alors qu’il est de notoriété publique qu’elle continue de se dégrader.

Ne serait-ce que sur ces questions évidentes, qui font partie de la culture générale du journaliste moyen, David Pujadas est resté coi devant l’énorme culot présidentiel. Mutisme néanmoins accompagné d’une belle autosatisfaction. Après avoir précisé s’être débrouillé tout seul (« Nous n’avons reçu aucune consigne de l’Elysée »), David Pujadas s’est dit en effet très satisfait de lui : « J’ai trouvé ça plutôt rythmé et tonique, de bonne tenue, pas mal sur le fond et sur la forme. A deux ou trois moments, il y a eu confrontation, il y a eu aussi des explications, un peu de pédagogie. C’était un entretien libre de ton ». Il avait peut-être la crainte de passer pour un journaliste « fasciste » en contrariant son interlocuteur, lequel était assez talentueux pour mettre lui-même son « rythme » dans la discussion. Mais, dans ce registre, le service public retarde un peu en s’alignant paresseusement sur TF1. D’autres ont pris une longueur d’avance. Il suffisait d’y penser : la meilleure façon de ne pas avoir d’ennuis est de ne plus parler de politique avec les politiques. Mais de les inviter pour… jouer. Ils se bousculent d’ailleurs pour accepter eux-mêmes de vider la politique de son contenu en se ravalant au rôle de figurants de jeux télés. C’est ce que leur propose Canal Plus avec Happy hour, ou News show, émissions de jeux où l’on peut voir Pierre Moscovici, Frédéric Lefèbvre, Cécile Duflot ou Nathalie Kosciusko-Morizet rire comme des fous entre devinettes futiles, quizz branchés et QCM idiots. A quand un Monopoly avec Nicolas Sarkozy ?

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