Pierre Lefranc, dans les pas du général de Gaulle

 

 

1lefranc L’ancien conseiller de la présidence a gardé un talent de conteur et une mémoire infaillible pour parler de sa vie auprès du « Grand Homme », pendant et après la guerre.

A 88 ans, Pierre Lefranc, conseiller à la présidence de la République du temps où le général de Gaulle occupait la fonction, porte bien son nom. Il compte parmi les plus fidèles compagnons de route du « Grand Homme », en restant néanmoins toujours dans son ombre. À sa place. Rien qu’à sa place, en toute modestie.

Ne lui parlez pas de la politique actuelle en France, ou encore de l’Europe telle qu’elle se dessine aujourd’hui. Il s’en désespère. Pourquoi un pareil attachement à la personne du Général ? Une explication s’impose d’emblée, qu’il formule ainsi : « Je suis d’une famille de républicains de bout en bout. Cela a joué un rôle essentiel dans ma formation, mes orientations et mes décisions. »

Lorsqu’à l’été 1940, les Lefranc apprennent que la France va être confiée au maréchal Pétain et que le peuple français cessera d’être consulté, leur parti est déjà pris de ne jamais marcher dans ce qui n’est à leurs yeux qu’une honteuse combine. Avant, le jeune Pierre était un étudiant un peu insouciant. Plutôt beau garçon, il ne se privait pas d’en tirer avantage : « C’était le temps des sorties, des surprises parties, du Hot Club de France, fameux groupe de jazz. J’étais très absorbé par tout ça ! »clip_image002

Les événements vont le précipiter dans l’action

clip_image002[1]Les événements vont le précipiter dans l’action. Élève de Sciences-Po à Paris, il baigne pourtant dans un climat contradictoire. D’un côté, le milieu de l’école « assez snob où il fallait se promener avec un parapluie et un chapeau noir à bord roulé et où circulaient dans les couloirs des jeunes filles très mignonnes, bien dotées et donc très courtisées ».

De l’autre, sa famille protestante ayant une lointaine parenté avec Calvin, ses deux sœurs, le souvenir d’un père tué dans un accident d’avion lorsqu’il avait 6 ans, sa grand-mère « qui pour avoir perdu un fils à la guerre de 14, s’étonnait de ne pas voir son petit-fils fusillé dès les premiers jours de la Résistance et une mère qui me jugeait comme un gaulliste mou avant que je parte rejoindre à Londres notre héros. »

Mou ? À Brive-La-Gaillarde, en Corrèze, le fief familial où il commence cette année-là ses vacances d’été, Pierre s’informe. C’est par « la lecture d’un petit article dans la presse locale » qui paraît encore en zone sud (non occupée) qu’il prend connaissance de l’appel du 18 juin. « Aussitôt, j’ai loué une machine à écrire. Et avec mon cousin, nous sommes allés distribuer des tracts que nous avons glissés dans les boîtes aux lettres des personnalités de la ville. »

Mou, encore ? Rentré à Paris, en zone désormais occupée, le jeune homme est effaré en découvrant les drapeaux à croix gammée flottant en haut des monuments. Dans l’immeuble où loge sa famille, rue d’Assas, une pièce de la défense aérienne allemande, visant à protéger le Sénat et où ont pris place les cadres de la Luftwaffe, a été installée au dernier étage. « Que pouvais-je entreprendre, moi, petit étudiant à Paris ? » se demande Pierre Lefranc. clip_image002[2]

Rejoindre le héros à Londres

clip_image002[3]La réponse se fait attendre jusqu’au 11 novembre. Pour cette date anniversaire de l’armistice de la Première Guerre, l’occupant craignant des manifestations ferme les universités : « Avec une poignée d’amis, nous avons jugé que c’était le moment d’agir. » Ils font tourner la polycopieuse de Sciences-Po, distribuent des tracts donnant rendez-vous sur les Champs-Élysées « dans un Paris où les soldats allemands se baladaient comme chez eux. »

Pour lui, l’aventure finit mal : il tombe avenue Marceau, terrassé par des éclats de grenade, touché à la jambe. On le transporte à la prison de la Santé où un gardien – un Français – lui déclare sans ménagement : « Vous serez fusillé demain matin ! “C’est bien bête de finir sa vie si jeune”, me suis-je dit alors. »

Mou, toujours ? Après ces prédictions trompeuses, il ne sait pourquoi mais le voici libéré. Il retourne à Sciences-Po entre deux béquilles, se fait rabrouer par le directeur qui lui dit : « Le maréchal Pétain sait mieux que vous ce qu’il faut faire pour la France. »

Cette fois, c’en est trop : le jeune homme file en zone libre, se retrouve à Montpellier, où il crée un petit mouvement de Résistance, « Liberté », qui fusionnera plus tard avec le grand mouvement « Combat ». Mais il se sent cerné par la police. Après un court passage à Lyon, où a été créée une antenne de son école, le voici, à pied, en compagnie de quelques amis franchissant les Pyrénées, afin de rejoindre Gibraltar d’où il espère gagner Londres.clip_image002[4]

« Vous serez fusillé demain matin ! »

clip_image002[5]Il n’y parvient qu’en 1943, après son arrestation par les carabiniers non loin de la frontière, suivie de plusieurs mois passés dans les geôles espagnoles. Pierre Lefranc, qui se réfugie volontiers derrière un humour à la Courteline, ne peut ici cacher son émotion : « J’étais enfermé en compagnie de Républicains espagnols qu’on fusillait peu à peu, chaque matin.

J’étais terrorisé par la présence de la mort. Pourtant, ceux qui en avaient réchappé pour quelques jours, quelques semaines, me prêtaient leur gamelle, à moi qui n’en avais pas. Et quand nous avons été libérés, ils se sont mis au garde-à-vous en nous disant que nous portions leurs espoirs. »

Sa première rencontre avec le général de Gaulle a lieu à Gibraltar. « Il a reproché aux quelques Français présents, dont j’étais, d’avoir mis du temps à le rejoindre. Mais il nous parlait comme à des combattants, ce qui nous a remonté le moral. » En Angleterre, il ne croise pas son héros, toujours par monts et par vaux, mais se forme à l’École des cadets de la France Libre créée par le général de Gaulle qui décrira plus tard dans ses écrits ces jeunes hommes comme « les meilleurs ».

Puis avec deux de ses camarades de la traversée de l’Espagne, il suit des stages dans des écoles secrètes britanniques pour se préparer à être parachuté en France. Après un atterrissage en pleine nuit sur le sol français, dans l’Indre, le voilà conduit avec ses amis vers le chef du maquis local, lequel aura ce chaleureux mot d’accueil : « Qu’est-ce que vous venez faire ici ? » « Nous sommes, depuis, restés les meilleurs amis du monde », assure Pierre Lefranc, trop heureux d’avoir participé sur le terrain à la libération de son pays.clip_image002[6]

Première rencontre avec le général de Gaulle

clip_image002[7]Après une jeunesse si mouvementée quoique déterminée dans ses options, riche d’une expérience exceptionnelle et en pleine force de l’âge, il devient tout naturellement l’un des membres du Rassemblement Pour la France (RPF) créé par de Gaulle. Pierre Lefranc avait en effet rencontré René Pleven à Londres. C’est celui-ci qui l’embauche au sein du RPF. À partir de là, Lefranc deviendra un proche du Général jusqu’à la fin.

« Mon but était la réforme des institutions. Charles de Gaulle était porteur de cette volonté. Il m’était naturel de le suivre. » La grandeur morale du futur premier président de la Ve République, sa rigueur quant aux finances de l’État, l’amitié qu’il lui témoignera bien des fois, sous un jour parfois un peu rugueux, ne lui fera jamais quitter le navire gaulliste. En 1958, de Gaulle, président du Conseil, le fait venir pour être chef de son cabinet à Matignon.

Puis dans la tourmente algérienne qui commence et que ne sait plus gérer la IVe République, Pierre Lefranc est chargé d’organiser le passage du pouvoir entre le Général et le président de la République d’alors, René Coty : « Cela s’est déroulé dans l’entente et la chaleur humaine la plus complète », raconte-t-il.

Quelque temps après, Pierre se fiance avec Sylvie, devenue son épouse, toujours à ses côtés. Ils seront parents de deux enfants, grands-parents de trois petites filles. Anecdote : quand il s’est agi de présenter sa future femme à Madame de Gaulle, Pierre lui a conseillé d’acheter un chapeau, ce qu’elle fit sans barguigner. clip_image002[8]

Chef de cabinet de De Gaulle à Matignon

clip_image002[9]« Tante Yvonne », comme on appelait affectueusement l’épouse du Général dans les couloirs de l’Élysée, l’accueillit avec chaleur, « sans doute agréablement surprise de rencontrer une jeune femme qui n’avait rien d’une gourgandine, ce que craignait sans doute pour moi Madame de Gaulle, car j’avais la réputation d’être un peu galopant. »

En 1963, au moment où Pierre Lefranc est nommé préfet de l’Indre, fonction qu’il occupera durant deux ans avant de revenir à l’Élysée, le Général offrira au jeune couple un déjeuner avec une dizaine de ses compagnons les plus proches.

Quoique rudes, ses rapports avec « le Grand Charles » seront toujours emprunts d’un profond respect mutuel : « On pouvait discuter avec lui à condition de présenter de bons arguments. »

En tant que président de la Société financière de radio diffusion (Sofirad) qui regroupait plusieurs radios comme Europe 1 ou RMC, et alors que de Gaulle se plaignait que les médias attaquent trop le gouvernement, Pierre Lefranc doit démontrer au président de la République « la nécessité d’une soupape. » clip_image002[10]

Un profond respect mutuel

clip_image002[11]« Bon ! Bon ! Faites ce que vous voulez ! », bougonne alors le Général. « Si j’avais dit qu’il ne fallait pas déplaire aux journalistes, il m’aurait envoyé promener. »

Dans le salon tout d’un coup silencieux de sa maison de Neuilly-sur-Seine, envahi des innombrables souvenirs d’une vie au service de la France et du général de Gaulle ainsi que de sa famille, le créateur de la Fondation de Gaulle, depuis peu grand-croix de la Légion d’honneur sourit.

Puis son visage s’assombrit : « Quand je pense qu’à ma dernière visite à Colombey auprès de Madame de Gaulle restée seule, elle m’a reçu en manteau tant il faisait froid, parce qu’elle n’avait pas de quoi payer le mazout pour chauffer toute la maison… »

Louis de COURCY la-croix.com
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1 commentaire sur Pierre Lefranc, dans les pas du général de Gaulle

  1. c’est l’époque ou les français avaient énormément de civisme et de respect envers les autres,comme le général DEGAULE l’avait prédit ‘des présidents vous en aurez ,mais!!!!! sans valeur

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