C’est quoi, c’est où, c’est qui le centre ? Réflexions…

 

 

  • par Jean-François Kahn –  Lundi 7 Juin 2010

 

C’est quoi, c’est où, c’est qui le centre ?

Puisque la question du centre est revenue – ce qui est normal – au centre de l’actualité politique, trois remarques :

1 – Savoir si François Bayrou devrait s’allier à la gauche, à la droite, s’installer au centre ou se situer en avant… bonne question. Mais ne sont-ce point les militants du MoDem, démocratiquement consultés, qui devraient en décider. Il est remarquable que toutes les supputations tournent autour de deux interrogations : que cherche exactement Nicolas Sarkozy ? Quelle ligne va choisir finalement Bayrou ? Mais jamais autour de cette troisième interrogation, la plus légitime pourtant : à quoi aspirent et que veulent les adhérents et sympathisants du MoDem ? S’ils veulent s’exprimer, ici, ils sont les bienvenus.

2 – Y a-t-il, en France, des électeurs potentiels qui, pour faire simple, trouvent la droite trop à droite et la gauche trop à gauche ; estiment qu’il y a du bon à prendre des deux côtés ; se situent spontanément dans l’entre-deux, ou bien dans l’ambivalence, c’est-à-dire se sentent de droite dans certains domaines et de gauche dans d’autres (par exemple : libéraux sur le plan économique et très anti-autoritaires sur le plan sociétal ou, au contraire, radicalement anti-néolibéraux sur le plan économique et social, mais très sécuritaires et autoritaires en matière de mœurs et de société) ? Ou bien encore y a-t-il des modérés qui sont profondément anti-sarkozystes et ne supportent pas la gauche ? Ou d’autres qui rêvent d’un gouvernement des meilleurs, d’où qu’ils viennent ?

Bien sûr que cet électorat-là existe et qu’il est relativement important, même si cela ne se traduit pas toujours, et de loin, par un vote spécifique.

En bonne démocratie, ce positionnement devrait donc pouvoir être représenté, se faire entendre et peser. Comme en Grande-Bretagne et dans la plupart des autres pays européens. Au nom de quoi exiger l’exclusion, par contrainte, d’une dimension idéologique existante, vivante, et ancrée dans notre tradition ?

En ce sens, François Bayrou joue un rôle indispensable et nécessaire quand il tente d’imposer, contre vents et marées, l’existence d’un centre indépendant. Il y a là une exigence démocratique que même les partisans de Mélenchon, par exemple, ou d’Europe Ecologie ou, hier, de Jean-Pierre Chevènement, devraient admettre et défendre puisque eux-mêmes refusent le carcan d’une bipolarisation simpliste et étouffante.

Sans compter qu’on peut difficilement reprocher à François Bayrou de ne pas s’être allié à la gauche puisque c’est la gauche, du moins sa fraction la plus majoritaire, qui l’a envoyé balader dans les grandes largeurs.

3 – Cela étant, si je reconnais la légitimité de ce positionnement et la nécessité démocratique de lui reconnaître sa place, je ne m’y retrouve nullement. Et, je crains que cette définition, elle aussi purement topographique finalement (le « où se place-t-on ? » l’emportant sur le « qu’a-t-on à dire de spécifique ? »), ne puisse, compte tenu de la période que nous vivons, regrouper plus que 8 % des électeurs au mieux et 4 % au pire.

Nous vivons en effet, aujourd’hui, une mutation d’une telle ampleur, une crise de société d’une telle radicalité, que l’important n’est pas de savoir où on se situe, mais ce que l’on propose d’autre, de différent. S’ancrer au milieu ? Au milieu de quoi, puisqu’il n’existe qu’un seul modèle, qui impose sa logique planétaire implacable, mais qui est en lambeaux et que les peuples de plus en plus rejette.

Le problème n’est donc pas de se définir comme « entre-deux », « à mi-chemin », mais de se porter, je le répète, résolument « en avant », pour préparer une véritable alternative porteuse d’un nouveau modèle. L’opinion ne veut pas du « mou » mais, au contraire, du solide et du dur dans la rénovation. Non pas s’intercaler, mais dépasser ; non pas mixer deux échecs, mais inventer ; non pas s’asseoir entre deux erreurs, mais s’en libérer ; non pas s’installer dans son petit quant-à-soi, mais initier des confluences et des convergences ; non pas se recroqueviller dans un double refus, mais prendre l’offensive pour construire ensemble.

Aphatie a bien le droit de réponse

Non, Aphatie ne s’énerve pas. Il répond. Normal. Il en a parfaitement le droit. C’est un débat musclé, c’est tout.

Déjà, lorsque Marianne avait publié, je le rappelle, une pétition signée par des gaullistes, des libéraux de progrès, des centristes, des socialistes, des écologistes et des communistes, mettant en garde contre une dérive vers le pouvoir personnel et, surtout, appelant à la défense de l’indépendance et du pluralisme de l’information, exaspéré, il avait attaqué très fort, sans la moindre nuance, expliquant, à la télévision, car il ne manque pas de tribunes, qu’il s’agissait d’un tissu d’imbécillités et que votre serviteur lui-même, qu’il soupçonnait d’être l’inspirateur de cette pétition, était un sombre crétin. C’est peut-être vrai, d’ailleurs. Vous avez dit violence de ton ? Mais moi, je lui reconnais parfaitement le droit d’adopter la tonalité qui lui chante, même le ut mineur.

Aphatie a tort de considérer que toute mise en cause du système médiatique, la plus radicale comme la plus innocente, que toute remarque sur une insuffisance de pluralisme ou d’indépendance de la presse (ce que, physiquement, il ne supporte pas, de même que toute allusion à une pensée unique le met dans tous ses états) le vise personnellement. C’est vraiment très bizarre et demanderait d’être plus finement analysé.

En revanche, il a le mérite d’assumer sans complexe, avec virulence mais avec cran, le système dont il est l’un des efficaces rouages.

Je serais même prêt à saluer ses convictions qui sont fortes, sauf qu’il prétend qu’il est totalement neutre et qu’il n’en a pas. En toute franchise, je le trouve assez faible comme chroniqueur, mais j’estime qu’il a un vrai talent comme interviewer. Même si la vivifiante agressivité dont il sait faire preuve vis-à-vis de certains (Martine Aubry en fit récemment les frais, mais elle n’avait qu’à pas se laisser faire) se double d’un grand respect quand il s’agit, par exemple, d’un grand patron.

Aphatie remarque que rien ne l’obligeait de répondre à ma proposition de faire entendre une musique différente à propos de l’affaire Aubry/Maddof ou de la loi sur le voile intégral.

Il a parfaitement raison. Et je reconnais d’ailleurs que je ne l’avais proposé que pour le plaisir d’enregistrer un refus. Il faut bien s’amuser !

*

80 % des journalistes sont plus ou moins vendus poste jean-louis charpar. Non, c’est faux. 95 % des journalistes sont profondément attachés à leur liberté et à leur indépendance. Simplement, les 5 % qui restent sont très bien placés.

 

 

François Bayrou a laissé un long commentaire sur le blog de Jean-François Kahn, en réponse à l’article «C’est quoi, c’est où, c’est qui le centre?». Le leader du Modem y clarifie sa position, et s’y livre à une attaque en règle de la politique menée par Nicolas Sarkozy depuis son élection, mais aussi de l’absence de réponses du PS. Voici le texte dans son intégralité.

 

clip_image002J’ai lu l’article de Jean-François Kahn. Autant répondre en direct (c’est un premier jet)

1- D’abord, le mot de « centre », autour duquel on bâtit tant de stratégies. Je n’aime pas l’adjectif « centriste », il rime mal. Mais le mot est utile parce qu’il permet de répondre avec fierté, en assumant ce qu’on est, à la question : « vous êtes à droite ou à gauche ? ». Répondre, « je suis au centre », c’est proclamer une identité originale et refuser que le monde se résume à l’affrontement d’une « droite » et d’une « gauche ».

2- Il y a donc une conséquence directe à cette défense du centre : c’est la défense et la promotion du pluralisme contre la bipolarisation.

3- certains disent que « droite » et « gauche », ça ne veut plus rien dire. Je ne suis pas de cet avis. Je sais que beaucoup de femmes et d’hommes se trouvent de « droite » ou de « gauche », pour ainsi dire de famille ou de fondation. C’est leur identité et la nier, c’est les blesser. Il y a une génétique politique de « droite » : la liberté mais l’ordre, la justification des inégalités par le mérite, une espèce de darwinisme social, la nation. Il y a une génétique politique de « gauche » : l’émancipation par rapport à la tradition, l’idée que l’homme est de lui-même le maître, la place accordée non pas seulement au Droit mais aux droits, et l’égalité non pas des chances mais des droits, l’internationalisme. Simplement ces deux génétiques politiques ne s’appliquent pas à tous les citoyens !

4- Beaucoup de citoyens ne se reconnaissent pas dans ce duo. Par exemple, face à nation et à internationalisme, ils ressentent le besoin d’Europe pour dépasser cet affrontement d’un autre temps et peut-être assumer en même temps l’amour de la nation et le besoin d’universel. Par exemple, droite et gauche, traditionnellement, ont une égale vénération pour l’État, l’État qui commande pour la droite, l’État qui pourvoit pour la gauche. Beaucoup de citoyens, au contraire, pensent que l’État tout puissant est un leurre, et que la société devrait être plus forte, plus décentralisée, vers les collectivités locales, les entreprises, les associations et l’État plus stratège, plus respecté, plus recentré.

5- Et puis il y a beaucoup de citoyens qui reconnaissent en eux à la fois une part de gauche, une part de droite : par exemple une révolte contre la domination sociale et sa perpétuation, et le respect du mérite ; par exemple, à la fois, le besoin d’émancipation et le besoin de tradition.

6- Dans l’arène politique, les propositions des deux camps qui prétendent incarner ces visions sont pauvres. Une immense majorité de citoyens ne s’y reconnaît plus et ressent comme appauvrissant le débat confisqué entre ce qu’on appelle « droite », l’UMP au pouvoir autour de Nicolas Sarkozy, et la « gauche », principalement incarnée par le PS. Ils voient dans les discours des uns et des autres deux impasses. Et ils attendent et veulent défendre un autre projet.

7- Dans l’action de l’UMP ils combattent : un projet de société où l’argent, la réussite matérielle, ont la place première ; les injustices assumées, injustices fiscales, symboliquement incarnées par le bouclier fiscal, et sociales, salariés précarisés ; le manque de considération pour l’école et pour les valeurs qu’elle transmet ; les atteintes répétées à l’impartialité de l’action publique ; la politique des clans, notamment dans les nominations ; l’attaque contre la séparation des pouvoirs, le législatif soumis à l’exécutif, et le judiciaire contesté dans son indépendance ; le contrôle des médias, notamment des médias publics qui n’appartiennent pas à l’État, encore moins au pouvoir ; la confusion permanente entre intérêts publics et intérêts privés.

8- Dans les réactions du PS, ils n’aiment pas : la contradiction constante entre les actes et les paroles ; la négation de la nécessité des réformes (par exemple sur le sujet des retraites) ; l’idée qu’il suffirait de faire payer les riches, ou les banques, pour les éviter ; le recours perpétuel à l’État, qui serait censé financer sans difficulté toute action providentielle ; le dogme « dans l’opposition, on s’oppose, au pouvoir on s’adapte ».

9- Surtout, ils défendent un autre projet, qui n’est pas « entre » droite et gauche, mais « autre » que droite et gauche, qu’ils croient plus fort, plus équilibré et plus juste.

10- Ce projet, comme une maison bien construite, a des fondations : il veut une réforme de l’État, remis à sa vraie place et respecté comme tel, le retour choisi et voulu à l’équilibre des finances publiques par le renoncement aux facilités des déficits en période de croissance, une réforme fiscale, la reconstruction des principes démocratiques de séparation et d’équilibre des pouvoirs, le pluralisme et l’indépendance des médias. Il veut l’impartialité du pouvoir.

11- Ce projet promeut en même temps la liberté de création des entrepreneurs, la défense des entreprises, et un projet social qui donne à chacun de vrais droits. Il pense que non seulement l’un n’est pas antinomique avec l’autre, mais que la reviviscence de l’économie est la garantie d’une action sociale qui ne mente pas.

12- Il hiérarchise les priorités : avant tout, concentration des volontés et des moyens pour l’école, l’université, la formation et la recherche, accompagnés de l’exigence de résultats discutés et vérifiés par la nation ; reconquête contre vents et marées des productions industrielles ou agricoles disparues ou délocalisées, aussi bien que des productions d’avenir, et des emplois qui les accompagnent, sans lesquels ni retraites, ni intégration, ni accueil des jeunes ne trouveront de réponse ; politique de protection de l’environnement naturel, dans le monde et exemplairement chez nous, et définition d’un véritable « développement », « soutenable » et donc « durable » dans l’avenir, maîtrisant à la fois la consommation d’énergie, la production d’énergies sans CO2, d’énergies renouvelables ; redéfinition de l’action de la France en Europe et dans le monde, au moment où l’Union est en crise et pire encore en cafouillis économique et politique et où la rentrée dans l’OTAN nous a laissés sans différence, c’est à dire sans influence ; proposition, dans le concert des nations, d’une politique de co-développement adressée au tiers-monde, et d’abord à l’Afrique qui passe par la lutte contre la corruption et la localisation des productions vivrières et industrielles.

13- Ce projet a pour caractère principal d’être cohérent, simple, compréhensible par tous. Il n’est pas une utopie, qui ne commencerait que lorsque les lendemains chanteraient. Il ne renonce à aucune des ambitions françaises et européennes, notamment la défense de valeurs de société par l’indépendance assumée.

14- Caractère propre de ce projet, de cette attitude politique, en quoi elle est centrale. Elle se considère comme compatible, en termes de réflexion partagée, avec les autres grands courants du champ républicain et démocratique français. Les autres excluent. Nous nous croyons qu’au moment de l’histoire où nous sommes, la rupture dans l’histoire est si brutale et les dangers si nombreux, le changement profond si nécessaire qu’il faut associer plutôt que dissocier, rassembler plutôt qu’exclure. C’est ce que notre pays a fait au moment, qui est une référence pour nous, du Conseil national de la Résistance.

15- Cette ouverture, au sens propre du terme, elle se nourrit de la certitude que bien des courants, aujourd’hui au PS, ou à l’UMP, partagent l’essentiel des valeurs que nous défendons. Simplement nous savons bien, il suffit d’ouvrir les yeux pour le constater, que chacun de ces courants est minoritaire dans son camp, et donc au bout du compte sans influence. C’est un courant majoritaire dans la société française, dont chacun des tronçons est minoritaire dans son propre camp. Il y a donc à défendre sa cohérence une nécessité stratégique autant que morale et intellectuelle.

16- Les deux adjectifs « non géographiques » qui désignent le mieux cette politique sont « démocrate » en référence au grand courant progressiste et réformiste, (auquel nous appartenons et qui allie le puissant courant démocrate américain, l’immense parti du congrès en Inde, le parti du nouveau premier ministre japonais), et « républicain », en référence à notre histoire nationale. Les deux disent la même chose : ce n’est pas la fatalité qui mène le monde, ce n’est pas la puissance, particulièrement pas la puissance financière, ce doit être le Droit et la volonté des citoyens qui veulent que le progrès soit aussi le progrès moral.

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