Le SNES, antigaulliste …

… primaire et sarkozyste secondaire

  • Eric Conan – Marianne
Marianne s’engage avec Eric Conan. Qui désapprouve la pétition du SNES exigeant la suppression des mémoires du Général de Gaulle du programme du bac de français.

 

memoires-guerre Au moment ou l’école fait l’objet d’une attaque en règle du consternant Ministre de l’Education, Luc Chatel –  qui la traite comme une filiale de l’Oréal, où il a exercé les talents de directeur du personnel et de responsable du marketing – l’ahurissante pétition lancée par le SNES (Syndicat national des enseignants du second degré) contre l’inscription des Mémoires de guerre du Général De Gaulle au programme du bac de français littéraire (aux côtés d’Homère, de Beckett et de Pascal Quignard) a le mérite de nous rappeler une douloureuse réalité : le désastre scolaire ne s’explique pas seulement par les offensives régulières que l’école subit de l’extérieur, par tous ceux qui cherchent à réduire les moyens qui lui sont consacrés, qui se réjouissent de voir son rôle dans la lutte des inégalités se réduire et qui ne lui demandent que de préparer au plus vite la jeunesse à plonger dans le grand marché de la consommation généralisée.

Non, le système scolaire français s’est aussi effondré de l’intérieur, une partie des enseignants ayant souhaité et favorisé au cours des trois dernières décennies beaucoup de ces réformes – pour la plupart de gauche – qui, de renoncements successifs en initiatives pédagogiques dé-coiffantes, ont participé à la déroute de l’instruction, en particulier dans l’enseignement du Français, domaine dans lequel la baisse du niveau est la plus spectaculaire. C’est d’ailleurs l’aspect tragique du sentiment actuel de beaucoup d’enseignants : ils savent plus ou moins consciemment que leur corps n’est historiquement pas étranger à l’état de l’école dont ils sont les victimes quotidiennes. Beaucoup, ces dernières années, ont pris conscience de cette contradiction. D’autres n’en sont malheureusement pas encore là comme l’initiative du SNES en constitue une triste démonstration.

Car que nous disent ces pétitionnaires ? Que « proposer De Gaulle aux élèves est tout bonnement une négation de notre discipline ». Ce sont les mêmes qui expliquaient il n’y a pas si longtemps qu’il valait mieux apprendre le français à partir du mode d’emploi d’un presse-purée ou d’une affiche publicitaire plutôt que dans les œuvres de La Fontaine ou de Victor Hugo, trop éloignées des réalités quotidiennes des élèves. Comme ils n’étaient pas gênés que des manuels de Français proposent d’approfondir « la culture du verlan », on comprend aisément que le style littéraire de De Gaulle, qui a fait son entrée dans la collection de La Pléiade, leur semble d’un piètre intérêt pédagogique. Autre objection invoquée : « Nous sommes professeurs de lettres. Avons-nous les moyens, est-ce notre métier, de discuter une source historique ? ». De Gaulle, la Seconde guerre mondiale, la Résistance, la Libération, cela semble effectivement trop compliqué quand l’objectif pédagogique premier est de ne pas bousculer l’élève avec ces vieilles histoires dépassant l’horizon de son univers quotidien. Déjà, Guy Mocquet leur semblait trop exotique.

Dernier argument : De Gaulle, ce serait de la politique et de la propagande. Et oui, comme toute grande œuvre politique, mais c’est précisément dans la catégorie « littérature et débat d’idées » que l’Inspection a retenu les Mémoires de guerre. L’argument du SNES impliquerait de rayer des programmes Chateaubriand, Saint-Simon, Péguy, Sartre, Malraux, Césaire, etc. Mais quand il parle de politique, le SNES ne voit même pas si loin : il pense que De Gaulle a été choisi « pour flatter la couleur politique du pouvoir en place ».

On se dit alors que l’inculture a vraiment progressé au point de faire des ravages dans certaines têtes enseignantes qui ne perçoivent aucune différence entre Sarkozy et De Gaulle. Inculture de ne pas voir pas que le large consensus actuel autour du gaullisme de guerre s’explique beaucoup par la nostalgie d’une conception de la politique qui ne bradait pas les idéaux et le souci de l’avenir collectif pour l’empire de l’argent et de la réussite matérielle. Inculture à laquelle s’ajoute l’inconséquence de ne pas voir qu’en demandant la déprogrammation des Mémoires de guerre, ils sont en fait les vrais alliés de Nicolas Sarkozy qui avait condamné La Princesse de Clèves avec les mêmes arguments. Plutôt Titeuf ou Pennac que Villon ou Stendhal.

S’ils s’intéressaient un peu plus à cette discipline démodée qu’est l’Histoire, les censeurs du SNES sauraient qu’au-delà des décisions tragiques de Vichy, le pétainisme exprimait d’abord un état d’esprit duquel tout le reste découla : le renoncement face aux événements, l’adaptation aux nouvelles réalités présentes, l’acceptation d’évolutions jugées irréversibles. La soumission à l’air du temps.

 

Mise au point

Une pétition canular sur de Gaulle

En janvier 2010, le tome 3 des Mémoires de guerre du général de Gaulle a été inscrit par l’Éducation nationale au programme de français du bac littéraire. Rien de plus normal. Les qualités littéraires de De Gaulle sont reconnues et comparables à celles de plusieurs personnalités de notre Histoire (le cardinal de Retz, le duc de Saint-Simon, le vicomte de Chateaubriand etc).

Mais un canular se met en place le 15 mai avec l’ouverture d’un site internet anonyme, Les Lettres volées. Dans une pétition auprès des enseignants, il réclame que l’œuvre gaullienne soit retirée du programme !

Le 2 juin, Le Figaro en fait état dans un long article autour du «lancement d’une pétition initiée par le Snes (le Syndicat national des enseignements du second degré, classé à gauche)». Le quotidien reprend à son compte l’allégation du site selon lequel la pétition aurait recueilli en deux jours 1500 signatures… mais il ne fournit aucun nom !!!

Le Snes monte au créneau en rappelant qu’il n’est pour rien dans cette pétition. Tout au plus a-t-il écrit le 5 février que «de nombreux collègues s’interrogent sur le choix» de De Gaulle, dans un communiqué consacré à la réforme du lycée.

Trop tard, la presse écrite et les radios commentent l’«information» du Figaro sans la vérifier et la gauche intellectuelle se déchire sans attendre. Le Nouvel Observateur met en ligne sur son propre site une contre-pétition signée, celle-là, par des intellectuels reconnus, sous le titre : «bonnet d’âne pour le SNES». Qui s’étonnera ensuite que les citoyens se détournent des médias conventionnels ?…

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