Eva Joly: « Le procureur est aux ordres »

 

  • Députée européenne d’Europe Ecologie, Eva Joly a été juge d’instruction au pôle financier du Palais de justice de Paris, où elle a notamment été chargée de l’affaire Elf, puis conseiller du gouvernement norvégien dans la lutte contre la corruption et la délinquance financière internationale.

 

evajoly Que vous inspire la polémique autour de l’affaire Clearstream?

C’est la parfaite illustration de l’absence d’indépendance du parquet. Chacun s’en rend compte aujourd’hui, on ne peut pas demander à un parquet aux ordres du pouvoir politique d’enquêter puis de requérir contre Dominique de Villepin. C’est incompatible avec la recherche de la vérité.
 
Le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, assure avoir pris seul la décision de faire appel du jugement qui relaxait Dominique de Villepin.
 
Dans ce cas, pour convaincre l’opinion publique qu’il a agi en toute indépendance, nous pourrions demander à Jean-Claude Marin de rendre publics tous les rapports et toutes les notes administratives qu’il a forcément transmises à sa hiérarchie, comme c’est l’usage dans les dossiers sensibles. Comment croire qu’il a pris cette décision seul? Je suis, par ailleurs, mal à l’aise de voir qu’il annonce sa décision de faire appel à la radio dès le lendemain du jugement, alors qu’il avait dix jours pour réfléchir. Enfin, la ministre de la Justice ou Nicolas Sarkozy pouvait demander au parquet de se désister de son appel.
 
Le parquet est-il entièrement soumis à l’autorité du pouvoir politique?
 
L’affaire Villepin en est l’illustration. Jean-Claude Marin a requis en personne alors qu’il n’est pas venu le faire au procès Elf, quand il était procureur adjoint. Pourtant, l’affaire Elf était beaucoup plus grave, elle en disait beaucoup plus sur notre République que l’affaire Clearstream. Je note que Jean-Claude Marin s’est opposé récemment à ce qu’un juge d’instruction enquête sur les « biens mal acquis » de plusieurs chefs d’Etat de la « Françafrique ». Tout cela est cohérent et illustre bien l’absence d’indépendance du parquet.
 
Le fait que le président Sarkozy ait été partie civile au procès tout en étant le garant de l’indépendance de la justice pose-t-il problème?
 
Evidemment, il est très mal conseillé. Cela ne tiendra pas devant la Cour européenne des droits de l’homme, car il n’y a pas égalité des armes entre les parties. De toute façon, en droit, le cas Villepin relève de la Cour de justice de la République.
 
Que pensez-vous de la suppression du juge d’instruction?
 
C’est une réforme scandaleuse qui vise à supprimer les contre-pouvoirs, les juges d’instruction
comme les chambres régionales des comptes. Le juge d’instruction indépendant est indispensable, on le voit bien dans les affaires sensibles.
 
Que faudrait-il changer pour que justice et pouvoir politique fassent bon ménage?
 
 Il suffirait que la justice soit indépendante du pouvoir politique, comme dans toutes les démocraties avancées. Pour cela, il faudrait déjà faire nommer les procureurs sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), comme les juges du siège.

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