Devedjian à la relance !

6a00d8341c86dd53ef00e551d5cd508834-150wi Je suis susceptible pour la politesse. Il m’est arrivé de croiser à plusieurs reprises, ces deux dernières années,  Patrick Devedjian que j’ai bien connu judiciairement de 1986 à 1988 lorsqu’il fréquentait comme avocat la section de la presse et des libertés publiques à Paris. Une fois sur deux, il ne salue pas. Ce n’est pas de la distraction mais, clairement, le passage d’un navire en haute mer, en société, dédaigneux des misérables esquifs qui l’entourent. A l’évidence, s’il est un inconditionnel du président, il n’est pas mécontent de lui-même. Cela crée un mauvais climat.

Je suis rancunier pour la Justice. Je n’oublie pas que de concert avec  son ami Szpiner, Patrick Devedjian  s’est permis, sans savoir, de critiquer l’arrêt exemplaire rendu par la cour d’assises de Paris à l’encontre  notamment de Youssouf Fofana et de ses co-accusés. Evidemment, ministre, cela lui suffisait pour parler de ce qu’il ignorait !  Le fait qu’il n’ait pas assisté aux débats ni connu le détail de l’affaire était pour lui sans importance. Cela n’a pas amélioré le climat.

J’essaie de me conformer à l’Etat de droit dans ma pratique professionnelle. Le moins mal possible. Je suis scandalisé quand l’Etat, en revanche, s’en soucie comme d’une guigne. Et l’Etat, ce sont les ministres. Certains se laissent aller. Ce n’est rien si on les compare avec la « sortie », la « relance » de Patrick Devedjian qui, abandonnant son ministère précisément de la Relance, s’autorise, dans un entretien avec Sophie Landrin dans Le Monde, une attaque frontale et choquante contre le Conseil constitutionnel dont il met en cause non seulement la décision récente mais plus généralement le mode de fonctionnement, d’investigation et de délibération (nouvelobs.com, Le Figaro, Le Post).

Il y avait déjà eu quelques escarmouches mais qui aussi bien de la part du président de la République que du Premier ministre étaient demeurées acceptables dans un monde où le respect strict et silencieux de nos instances pourtant capitales en démocratie n’a plus cours et semblerait même un défaut de virilité politique.

Quelle mouche a donc piqué notre ministre de la Relance pour qu’aussi brutalement et ostensiblement il amplifie une charge peu commune en cherchant à l’évidence à « se payer » le Conseil constitutionnel, son président et sa jurisprudence si peu éclairée ! Quel but veut-il atteindre, quelle promotion rechercher, quels éloges recueillir ?

Je n’ose pas penser qu’une violation aussi flagrante de la réserve républicaine et de la retenue ministérielle puisse lui avoir été inspirée par le souci de se faire à nouveau valoir auprès du président de la République, de « remonter un courant » que ces derniers temps apparemment il aurait descendu. Comme une manière de reconquête politique grâce à une outrance dont il espère qu’on lui saurait gré.

Essayons d’imaginer, par ailleurs, un ministre vraiment de gauche, réellement socialiste, qui aurait éprouvé l’envie de d’abandonner à de telles extrémités. Quel tollé, quelle fronde auraient été sur-le-champ portés à leur comble et je ne doute pas même que pour calmer l’émotion publique et les républicains pointilleux, ce serviteur de l’Etat imprudent ou impudent aurait été prié de regagner ses pénates parisiennes ou provinciales. Notre seuil de tolérance s’est-il abaissé à ce point que, au lieu de nous indigner, nous nous forcions à sourire, qu’au lieu de protester collectivement, nous nous contentions d’un léger trouble, d’une esquisse de dénonciation ? C’est en réalité à cause de notre faiblesse que des ministres osent tout. Il y a, je le crains, un mouvement inéluctable vers l’Etat insoucieux du Droit et le Droit pliant sous l’Etat.

Attendons demain. En tout cas, à l’approche de prochaines nominations pour le Conseil constitutionnel, je m’interroge sur cette controverse délibérément jetée sur le feu de la République. Son seul avantage, c’est qu’elle me conduit à me féliciter rétrospectivement que Patrick Devedjian n’ait pas été nommé garde des Sceaux en 2007. Sa compétence n’aurait pas suffi. Pour l’avenir, si le Conseil se voit affecter des personnalités aussi sereines et impartiales que Patrick Devedjian,  c’en sera fini de ce remarquable organe de contrôle et d’équilibre qui déplaît naturellement aux sectaires des deux camps.

Patrick Devedjian, enfin, m’amuse. Il ose affirmer « qu’il souhaite que le Conseil constitutionnel soit à l’abri des soupçons ». Ce qu’il feint, bonne âme, de déplorer, il le nourrit, ce qu’il fait mine de dénoncer, il l’amplifie.

Le climat s’est dégradé. 

Philippe Bilger – Avocat Général près la cour d’appel de Paris

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