« La République faisait partie de son être »

 

Conseiller et plume de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino fut longtemps un proche de Philippe Séguin, auquel il rend hommage dans le JDD.

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  • Les obsèques de Philippe Séguin seront célébrées lundi [11 janvier 2010] aux Invalides.

Philippe Séguin, je l’ai rencontré il y a vingt ans. C’était lors d’un congrès du RPR au Bourget, en février 1990. Avec Charles Pasqua et Franck Borotra, il avait pris la tête d’une révolte contre ce qui lui apparaissait comme une banalisation du mouvement gaulliste. A ses yeux celui-ci se reniait en se coupant de son électorat populaire et de sa fibre sociale. Il disait souvent que l’histoire du mouvement gaulliste était celle d’une résistance constante à la droitisation. Le gaullisme a toujours voulu dépasser les clivages, n’être ni de droite ni de gauche.

Je revois le grand hangar, l’immense foule des militants, les camps qui s’affrontaient, les cris, les insultes et dans ce vacarme Philippe Séguin montant à la tribune, hué par la moitié de la salle et prenant la parole. J’entends encore cette voix sourde au départ, presque inaudible, qui, peu à peu, captait l’attention et imposait le silence. Ce jour-là, Philippe Séguin n’a pas gagné contre la direction du RPR. Mais il a gagné l’estime de tous ceux qui, en l’écoutant, avaient compris qu’il les respectait même s’ils n’étaient pas d’accord avec lui. J’ai acquis ce jour-là la conviction que la qualité d’un discours politique se mesure moins aux acclamations de ceux qui sont acquis d’avance qu’à la capacité à susciter l’écoute de ceux qui ne le sont pas, et dans l’intensité du silence, du recueillement, de l’émotion partagée.

Entré ce jour-là dans ma vie, Philippe Séguin n’en est plus sorti, même si ce long compagnonnage fut marqué par une interminable alternance de fâcheries et de réconciliations. Cette relation est devenue au fil du temps, je crois, une relation d’amitié, d’estime, d’affection. Je dis « je crois » parce qu’avec Philippe Séguin il était difficile de parler de soi et impossible de parler de lui. Cet homme qui exprimait ses convictions politiques avec tant de force gardait pour lui ses blessures secrètes, ses douleurs et ses doutes qui lui donnaient parfois cet air si sombre et si las et ce regard si désespéré.

Je l’ai admiré pour son intelligence et pour son talent. Mais je l’ai aimé pour ce qu’il incarnait presque charnellement qui était indissociable de son histoire et qui me renvoyait sans cesse à la mienne. Il a été le premier, dès le début des années 1990, à remettre le rapport entre la Nation et la République au cœur du débat politique. Il appelait cela l’« exception française ». Elle fut au cœur de tous ses combats. La Nation et la République, ce n’était pas chez lui d’abord une idée, une idéologie. Philippe Séguin était sans doute l’un des rares intellectuels de la politique française mais ce n’était pas un idéologue, rien ne lui était plus étranger que l’esprit de système. La Nation et la République faisaient partie de son être. Le sentiment les lui inspirait plus encore que la raison.

«Le drame de Philippe Séguin, ce fut qu’il y avait des séguinistes dans tous les partis, mais qu’ils n’étaient majoritaires dans aucun appareil»

La Nation, elle était indissociable du souvenir de ce père mort pour la France qu’il n’avait jamais connu. La République, celle de Gambetta, des Hussards noirs, de Jules Ferry, de Clemenceau, de De Gaulle, il la voyait dans le visage de sa mère, institutrice, et dans l’école qui lui avait permis, lui, « le Petit Chose », comme il disait parfois, de devenir quelqu’un.

Philippe Séguin ne fut ni un grand homme, comme le disent aujourd’hui certains avec grandiloquence, ni un homme médiocre, comme le pensent ceux qui l’ont toujours méprisé parce qu’il ne voulait pas jouer avec leurs règles, parce qu’il n’appartenait pas à leur milieu. C’était tout simplement un homme avec ses grandeurs et ses faiblesses, ses forces et ses fragilités, un homme vrai qui tenait debout grâce à quelques principes sur lesquels il n’a jamais varié.

C’était un homme politique. Il avait parfois l’habileté du politicien. Il savait faire, plus qu’on ne l’a dit, des concessions et des compromis, s’adapter aux conjonctures. Je l’ai vu ruser pour contourner des obstacles qu’il jugeait infranchissables et il avait un sens inné de la manœuvre parlementaire. Mais je ne l’ai jamais vu transiger sur ce qui pour lui était l’essentiel, cette certaine idée de l’Etat, de la Nation et de la République qu’il puisait d’abord dans sa propre expérience de la vie. C’était suffisant pour dresser contre lui tout un système qui ne tolère que les échines souples qui plient facilement quand l’intérêt personnel ou partisan l’exige.

Entre ceux qui n’ont jamais supporté que cet homme, si respectueux des institutions dans lesquelles s’incarne la souveraineté française, ait été aussi déférent avec François Mitterrand en 1992, ceux qui ont crié à la trahison quand il déclara après le référendum sur Maastricht : « Quel démocrate serais-je, si je ne tirais pas les conséquences du vote des Français? » et ceux qui ne supportaient pas qu’il défendît l’autorité, la dignité et le rôle de l’Etat quand la mode était à l’Etat minimum et à l’infaillibilité des marchés, Philippe Séguin a souvent eu du mal à se faire comprendre.

Mais c’est surtout parce qu’il ne respectait pas les codes et parce que ce qu’il incarnait traversait tous les partis qu’il rencontra tant de difficulté dans ses combats politiques. Ses échecs, il les doit à ce décalage abyssal entre une opinion qui se reconnaissait au fond si bien dans les idées et les valeurs qu’il portait et les clivages partisans. Le drame de Séguin, ce fut qu’il y avait des séguinistes dans tous les partis mais qu’ils n’étaient majoritaires dans aucun appareil. Même en 1995, vainqueur dans les urnes avec Jacques Chirac, il n’est pas nommé Premier ministre ! Les échecs de Séguin scandent le creusement du fossé entre le système politique et le peuple, jusqu’au choc du 21 avril 2002 et à l’échec de la Constitution européenne. Mais souvenons-nous que le système des partis aurait empêché le retour du général de Gaulle au pouvoir si des circonstances exceptionnelles ne l’y avaient ramené. A Séguin, homme de la Nation face à l’opiniâtreté des appareils et des intérêts particuliers, il a manqué les circonstances.

Idéologiquement il a gagné. En témoigne le sentiment de vide que sa disparition suscite, exceptionnel pour un homme déjà retiré depuis des années de la vie politique. Politiquement, il n’a jamais réussi à transformer l’essai. Mais il nous laisse une idée de la politique dont je suis sûr les générations futures s’empareront. Car loin d’être, comme on l’a dit, un « politicien à l’ancienne », il fut, j’en suis convaincu, un précurseur.

Lundi ses obsèques seront célébrées aux Invalides. Lui, le pupille de la Nation qui toute sa vie refusa la Légion d’honneur parce que son père n’avait jamais pu la recevoir à titre posthume, recevra l’hommage de cette République qu’il a tant aimée. Il lui sera rendu par le président de la République. Et tous ceux qui furent ses adversaires se souviendront peut-être qu’il fit toute sa vie de la politique avec passion, mais en respectant toujours les personnes et les institutions. C’était sa façon à lui de faire honneur à la République.

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