L’essence d’une nation

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Au commencement était la nation. La grande nation, comme disaient avec admiration les Allemands. Et puis, au fil des décennies, l’admiration s’est teintée d’ironie. Mais la nation, grande ou pas, restait souveraine. On s’interrogeait sur sa puissance ou sa faiblesse, sa grandeur ou sa décadence, pas sur son identité. A la fin du XIXe siècle, pris dans son tête-à-tête mortifère avec l’Allemagne, la France tenta de définir ce qui la distinguait de son impérieux voisin. On connaît la célèbre conférence d’Ernest Renan qui définit alors l’être français non par la race ou le sang, mais par l’histoire, la culture, la volonté. On a tous en mémoire les célèbres passages sur l’héritage d’une histoire partagée et le plébiscite de tous les jours.

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« La nation française se dissout dans l’Europe, la mondialisation, l’immigration et le multiculturalisme » par Eric ZEMMOUR (Journaliste)

 

 

 

 

 

  • Identité nationale suppose nation. Or depuis un demi-siècle, la nation française se dissout dans l’Europe, la mondialisation, l’immigration et le multiculturalisme. Le débat en cours ne peut-être qu’illusoire.

 

Au commencement était la nation. La grande nation, comme disaient avec admiration les Allemands. Et puis, au fil des décennies, l’admiration s’est teintée d’ironie. Mais la nation, grande ou pas, restait souveraine. On s’interrogeait sur sa puissance ou sa faiblesse, sa grandeur ou sa décadence, pas sur son identité. A la fin du XIXe siècle, pris dans son tête-à-tête mortifère avec l’Allemagne, la France tenta de définir ce qui la distinguait de son impérieux voisin. On connaît la célèbre conférence d’Ernest Renan qui définit alors l’être français non par la race ou le sang, mais par l’histoire, la culture, la volonté. On a tous en mémoire les célèbres passages sur l’héritage d’une histoire partagée et le plébiscite de tous les jours.

On ne parlait toujours pas d’identité nationale. Il fallut attendre le début des années 1980 pour que cette expression fût employée. Et ce n’est pas un hasard. La France est alors prise dans le maelström déstabilisateur de l’Europe et de la mondialisation. Elle perd successivement la maîtrise de ses frontières, de sa politique économique et commerciale avec le grand marché unifié, et la gestion du plus ancien attribut de souveraineté avec la guerre : la monnaie.

A l’époque du référendum de 1992, le Premier ministre Pierre Bérégovoy affirmait d’un ton doucereux à ses contradicteurs qu’ils ne devaient pas s’inquiéter, qu’ils ne perdraient pas leurs coutumes. Giscard se met lui aussi à parler d’identité nationale.

L’identité nationale, c’est tout ce qui reste quand on a perdu (le gros de) la souveraineté. La mondialisation imposa la libre circulation des marchandises – dans le cadre, classique, du libre-échange –, mais surtout celle des facteurs de production : capitaux et hommes.

Alors, l’identité nationale devint une question lancinante du débat politique français. L’émergence du Front national qui, en captant l’électorat populaire, fit d’abord la joie de la gauche (réélection de Mitterrand en 1988), puis celle de la droite (élimination de Jospin dès le premier tour en 2002) fut la partie émergée de l’iceberg. Sous cette agitation politicienne, un peuple se demandait, angoissé, ce qu’il devenait.

« Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne. »

Mais, officiellement, la question de l’identité nationale ne se posait pas. Et surtout, elle n’avait aucun rapport avec l’immigration. Selon nos doctes bien-pensants, une identité évoluait. Comme les modèles de l’industrie automobile. Pourtant, le général de Gaulle nous avait prévenus : « Il ne faut pas se payer de mots ! C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine, et de religion chrétienne. »

Depuis la mort du grand homme, on ne cessa de nous expliquer le contraire. La France, ce n’était finalement que la déclaration des droits de l’homme et la République. Des « valeurs » et rien d’autre. On somma le peuple français de renoncer à ce modèle assimilationniste qu’il avait pourtant imposé à des générations d’immigrés belges, italiens, espagnols, russes, juifs, pour le plus grand bien de la France – que l’immigration sauvait du déclin démographique – et de ces immigrés qu’elle émancipait, par sa culture et sa langue, de l’enfermement ghettoïsé des origines. L’assimilation, c’est l’abandon d’une partie de soi pour adopter les mœurs, le mode de vie, la façon de penser du pays d’accueil. L’assimilation ne connaît que les individus, des citoyens, pas des communautés, encore moins des peuples. Un corset néocolonial, nous ont dit les « modernes ». Raciste, ont ajouté les autres. L’heure était aux identités multiples. Au multiculturalisme. Toute une idéologie, venue du Canada et des Etats-Unis, imposa cette vision. Et ces mots fétiches qui, détournés de leur sens premier, devinrent les vecteurs de l’idéologie dominante : métissage, diversité, accommodements raisonnables…

Les mots sont des armes. Dans un texte intitulé « Justice et affaires intérieures », le Conseil européen du 18 novembre 2004 adopta les « principes de base communs de la politique d’intégration des immigrants dans l’Union européenne ». L’article 1er énonce : « L’intégration est un processus dynamique, à double sens, de compromis réciproques entre tous les immigrants et résidents des Etats membres. »

Chaque mot est une déclaration de guerre à la conception impérieuse – assimilationniste – française qui repose sur l’adage : si fueris Romae, Romano vivito more (à Rome, fais comme les Romains).

C’est dans ce contexte historicoculturel que, pendant la présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy osa associer dans le même discours immigration et identité nationale. Tollé. La gauche nous expliqua qu’il était honteux et raciste d’associer l’immigration et l’identité nationale. Le scandale donnera sans doute à Sarkozy la clé de l’Elysée et, en tout cas, l’adhésion de cette fraction de l’électorat populaire qui abandonna alors Le Pen pour lui. Sarkozy s’était préalablement présenté comme un Français de sang mêlé. Plus tard, il ajoutera : « président d’une France métissée ». C’est toujours ainsi avec Sarkozy : une transgression, qui fait hurler les bienpensants et le rapproche du peuple, est toujours « payée » par une concession majeure au « politiquement correct ». Habileté tactique qui lui permet d’éviter la diabolisation médiatique, mais rend incohérente sa pensée.

Le premier ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale fut Brice Hortefeux. Mécontent et tétanisé, il ne fut que ministre des expulsions. Plus décomplexé parce que venant de la gauche, Eric Besson a rempli tardivement la feuille de route de la campagne présidentielle. Le débat sur l’identité nationale tombe opportunément à quelques mois des régionales et alors que le chômage et la dette publique explosent. Mais la ficelle tactique est tellement épaisse que tout le monde l’a vue.

Eric Besson ose reparler d’assimilation. Mais il évoque aussi le métissage et la diversité. La confusion sémantique, et donc idéologique, est à son comble. Besson suit Sarkozy qui ne sait pas vraiment de quel modèle il parle. Les choses sont pourtant simples : le modèle assimilationniste, qui a fonctionné pendant un siècle, de 1860 à 1970, a parfaitement rempli son office, même si, contrairement aux idées reçues, de nombreux Italiens et Polonais sont rentrés chez eux. Cette assimilation a été la clé, selon le grand historien Fernand Braudel, de « l’intégration sans douleur » de ces immigrés qui « se sont vite confondus dans les tâches et les replis de notre civilisation », tandis que leurs cultures d’origine ont apporté une nuance de plus à notre culture complexe.

A partir des années 1980, on a abandonné notre modèle mais sans oser vraiment adopter celui, « communautariste », de l’autre grand pays d’immigration : les Etats-Unis. Nous sommes restés entre « deux eaux ». Comme par antiphrase – car, en réalité, nous avons intégré de moins en moins –, nous avons appelé cet entredeux « l’intégration ». Nous avons cru que la seule insertion économique suffirait. Ce raisonnement matérialiste, qui comblait marxistes et libéraux, nous empêcha de voir qu’en fait, c’est l’assimilation qui, paradoxalement, permet une meilleure insertion économique.

Peu à peu, les Français des quartiers populaires, qu’on n’osait plus appeler de souche, se sentant devenir étrangers dans leur propre pays, s’en éloignaient, s’en séparaient.

Ne maîtrisant plus vraiment notre immigration, nous avons laissé s’installer une population nombreuse qui gardait ses coutumes et ses traditions. Peu à peu, les Français des quartiers populaires, qu’on n’osait plus appeler de souche, se sentant devenir étrangers dans leur propre pays, s’en éloignaient, s’en séparaient. Les communautés se côtoyaient parfois, mais ne se mélangeaient plus.

De Gaulle, encore lui, nous avait pourtant prévenus : «On peut intégrer des individus ; et encore, dans une certaine mesure seulement. On n’intègre pas des peuples, avec leur passé, leurs traditions, leurs souvenirs communs de batailles gagnées ou perdues, leurs héros. »

 

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