Présidence française de l’Union Européenne

… la Cour des comptes déplore des « dérives » dans les dépenses

 

UPM Le président de la Cour des comptes en France, Philippe Seguin, a déploré jeudi des « dérives » et des « erreurs » dans les dépenses engagées lors de la présidence française de l’Union européenne au second semestre 2008, sur la radio Europe 1.

Un rapport de la cour des comptes sur la présidence française de l’Union européenne pointe notamment du doigt le coût d’un dîner du 13 juillet dans le cadre du sommet de Paris de l’Union pour la Méditerranée (UPM) qui, restauration et aménagement compris, a représenté « un total de 1.072.437 euros pour 200 personnes, soit 5.362 euros par invité ».

Des montants de dépenses particulièrement choquants, à un moment où nombre de Français sont confrontés à des difficultés financières dans leur vie quotidienne et où l’Etat devrait se montrer exemplaire.

Les critiques contenues dans le rapport de la Cour des Comptes présenté la semaine dernière

Lorsque, au second semestre 2008, la France assure la présidence de l’Union européenne, la crise financière et économique fait déjà sentir ses effets. Cela ne modérera pas les dépenses engagées. A la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes a enquêté sur l’utilisation des crédits alloués pour la présidence française de l’Union européenne. Dans son rapport, présenté mardi 20 octobre aux sénateurs, elle évalue à 150 millions d’euros les crédits consommés.

Si l’on y ajoute les dépenses « externalisées », l’addition grimpe à 175 millions d’euros. Un montant comparable à celui dépensé lors de la dernière présidence allemande, mais largement supérieur à ceux engagés par les autres pays européens, qui oscillent entre 70 et 80 millions. Cet écart est-il justifié ?

L’enquête de la Cour révèle que les dépenses engagées à l’initiative de la présidence française (76 millions d’euros) ont excédé celles liées au fonctionnement structurel de la présidence de l’Union européenne (62 millions). Près de 500 manifestations de toutes sortes ont été organisées, sans que l’enquête ait « permis d’établir ni leur nécessité ni leur l’impact « . La Cour souligne « une planification tardive, précipitée et défaillante ».

Plus grave : la présidence française de l’UE a pris ses aises avec les règles des marchés publics. Pas moins de douze marchés ont été conclus hors procédure réglementaire, vingt-deux négociés sans mise en concurrence et neuf marchés, seulement, avec mise en concurrence.

La Cour épingle notamment les conditions d’organisation du sommet de l’Union pour la Méditerranée le 13 juillet à Paris. Un sommet « hors normes », comme le qualifie le rapport, qui a coûté la bagatelle de 16,6 millions d’euros. Il a fallu aménager le Grand Palais afin d’accueillir les délégations de 43 Etats et les 1 900 journalistes accrédités, soit près de 3 000 personnes. La Cour des comptes détaille poste par poste l’ensemble des équipements réalisés dans l’urgence et dans des conditions rocambolesques : plus de 10 millions d’euros pour les seuls aménagements du Grand Palais, pour une après-midi d’utilisation : des « 16 monolithes et jardinières » de décoration (194 977 euros) à la « climatisation de l’ensemble » (653 703 euros) ! Et 500 ouvriers sont mobilisés.

La réalisation des aménagements a été confiée à une entreprise spécialisée qui bénéficiait déjà d’un contrat avec le ministère des affaires étrangères, plafonné à une dépense maximale de 6 millions. Le 27 juin 2008, par lettre, il lui est demandé d’assurer cette prestation complémentaire. Les travaux ont lieu la première quinzaine de juillet, mais ce n’est que le 20 août qu’un nouveau contrat est signé, pour un montant forfaitaire de 11,960 millions d’euros. Au vu du dossier, le contrôleur budgétaire refuse de donner son visa. Plusieurs pièces nécessaires au paiement, notamment un document certifié attestant la réalité de la prestation, font défaut. La signature et la notification de l’engagement sont postérieures à l’exécution des travaux. Le trésorier payeur général suspend le paiement. Le ministère des affaires étrangères demande alors la réquisition du comptable public.

La Cour détaille : pour le dîner des chefs d’Etat qui réunit 200 personnes le 13 juillet au Petit Palais, « le coût total pourrait avoisiner 62 181 euros pour la restauration (soit 310 euros par invité), auxquels s’ajoutent 1 010 256 euros d’aménagements, soit… 5 367 euros par invité ». En regard, le déjeuner des chefs d’Etat organisé le lendemain dans les jardins de la Résidence Marigny paraîtrait presque modeste : 780 782 euros. « Par son ampleur, le caractère irrégulier des procédures suivies et son impact massif pour les finances publiques, ce sommet constituera une forme de record », conclut la Cour des comptes.

Par ailleurs, une réunion informelle des ministres des affaires étrangères, « Gymnich » dans le jargon de la diplomatie européenne, s’est tenue les 5 et 6 septembre 2008 à Avignon. Il a coûté 4,2 millions d’euros, alors que la convention de délégation de gestion prévoyait une addition de 2,534 millions d’euros. Les dérapages s’y sont enchaînés.

L’aménagement du Palais des papes a été facturé 2,172 millions au lieu des 1,885 million prévus ; le transport par TGV spécial « pelliculé aux couleurs de la présidence française » a flambé à 716 764 euros au lieu de 83 000 ; la restauration s’est élevée à 632 303 euros alors qu’elle aurait dû coûter 276 000 euros, et l’hébergement est finalement revenu à 241 912 euros au lieu de 107 000. A cela se sont ajoutés les 210 340 euros de l' »événement culturel » initialement budgété 130 707 euros. La Cour des comptes fait remarquer que ces dépassements n’ont pas toujours été justifiés, et rappelle que le coût du « Gymnich » de Brême, dans le cadre de la présidence allemande, n’avait pas excédé 2 millions d’euros.

Les commentaires de Philippe Séguin sur Europe 1

« Il y a eu un certain nombre de dérives et un certain nombre d’erreurs », a estimé M. Seguin. « Les opérations ont été mal programmées, il n’y a pas eu de véritable stratégie », a-t-il regretté.

« Par son ampleur, le caractère irrégulier des procédures suivies et son impact massif pour les finances publiques, ce sommet constituera une forme de record », a souligné la Cour des comptes dans son rapport.

Le rapport pointe particulièrement du doigt « l’aménagement exceptionnel » du Grand Palais à Paris à l’occasion du Sommet de l’Union pour la Méditerranée du 13 juillet 2008. Ce seul sommet a coûté 16 des quelque 175 millions d’euros de la présidence française de l’UE.

Le dîner du 13 juillet, restauration et aménagement compris, a représenté « un total de 1.072.437 euros pour 200 personnes, soit 5.362 euros par invité », souligne le rapport. Ce montant a servi notamment à un réaménagement « exceptionnel » et « sans précédent » du Grand Palais pour trois heures de réunion, avec notamment 91.500 euros de moquette éphémère, 194.900 euros de jardinières et 136.000 euros consacré au fond de scène. En revanche, il y a bien eu des douches aménagées mais pas pour 245.000 euros, comme évoqué dans un premier temps par M. Dosière.

Tout en soulignant des « progrès » par rapport au sommet de Nice organisé sous présidence française en 2000, M. Séguin a lui déploré des « opérations mal programmées », une absence « de véritable stratégie » et des « décisions souvent tardives ». Bref, « ça n’a pas été un épisode très glorieux du point de vue des finances publiques », affirme Philippe Séguin.

« Il n’y a pas eu d’appel d’offres, de véritable cahier des charges. On a improvisé et les fournisseurs s’en sont par exemple donné à cœur joie », a-t-il critiqué. Il estime qu' »on aurait pu avoir les mêmes prestations pour un tiers moins cher », et déplore que tout a été loué, « on n’a même pas gardé un stylo ! ».

Mais surtout, l’ex-président de l’Assemblée nationale regrette de n’avoir « aucun moyen, s’il y a des responsables, de les sanctionner ».

Au-delà du sommet de l’UPM, M. Séguin critique certains choix budgétaires du gouvernement, l’accusant de « liquider les bijoux de famille ». Il cite l’absence de centre de conférence international à Paris après la vente du centre Kléber, qui a conduit à devoir aménager à grands frais du Grand Palais pour le sommet de l’UPM.

Le gouvernement français tente justifier l’addition

L’opposition et une partie de la droite, se sont emparé de ce rapport de la Cour des Comptes, dans le sillage du député apparenté PS René Dosière. Le parlementaire, déjà à l’origine d’une charge contre l’augmentation des dépenses de l’Elysée depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy en 2007, avait lancé mardi la polémique sur des dépenses jugées « insupportables et inacceptables ». Un débat largement repris par la presse britannique. « Avec Nicolas Sarkozy, les économies c’est pour les élus locaux, les dépenses somptuaires pour l’Elysée », a insisté jeudi le député PS Jean-Louis Bianco.

« Les Français paient pour un Sarkoshow », a déploré Pierre Moscovici (PS). « C’est révoltant », s’est insurgé le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan. Coté majorité, Jérôme Chartier (UMP) a estimé que « l’exemple doit venir tant de l’exécutif que du Parlement », tandis que Maurice Leroy (Nouveau Centre) appelait à « faire attention aux dépenses en période de crise ».

Le président de la commission des finances du Sénat, le centriste Jean Arthuis, avait lui dressé un bilan plus complet du rapport qu’il avait commandé à la Cour des comptes : il soulignait qu' »une trentaine de millions ont été ‘sponsorisés' », c’est-à-dire financés par l’UE ou les collectivités territoriales. Et que les autres pays européens dépensaient en moyenne 70 millions.

Le président UMP de la commission des affaires européennes du Sénat, Hubert Haenel, a lui défendu mercredi la programmation « foisonnante » selon certains critiques. « N’avions-nous pas, après le référendum négatif, besoin de montrer que la France était de retour en Europe et l’Europe de retour en France ? ». Le secrétaire d’Etat aux affaires européennes, Pierre Lellouche, a dénoncé les attaques « dérisoires » de l’opposition, qui ne furent pas si nombreuses, non plus que les soutiens de la majorité.

Face aux critiques de l’opposition socialiste, le gouvernement français s’est défendu mercredi d’avoir engagé des dépenses inconsidérées, soulignant n’avoir dépensé que 170 millions d’euros sur les 180 que comptait l’enveloppe budgétaire de la présidence française de l’UE.

Le ministère des affaires étrangères a fait valoir que la crise financière internationale et celle entre la Géorgie et la Russie avaient conduit à organiser des réunions non prévues initialement. Eric Woerth a souligné que la présidence française avait coûté 151 millions d’euros, au lieu des 189 millions budgétés, soit moins que les 180 millions dépensés par l’Allemagne lors de sa présidence tournante de l’UE.

« Il y a une politique immobilière et cette politique ce n’est pas de vendre les bijoux de famille, c’est de vendre l’immobilier inutile », a rétorqué le ministre du Budget Eric Woerth sur la chaîne i-Télé. « On ne peut pas dire, d’un côté, il faut réduire les déficits, et de l’autre, quand on vend de l’immobilier inutile, quand on concentre les administrations, ce n’est pas une bonne idée », a-t-il relevé.

M. Woerth avait déjà fait valoir mercredi que la France n’avait « pas à rougir », soulignant qu’elle avait dépensé moins que les 189 millions d’euros prévus initialement. Quant au coût par habitant, il est moindre pour la France que dans la plupart des autres pays, avait-il plaidé : 2,40 euros par Français et 6,70 euros par habitant au Portugal.

Sources: Agence France Presse et Le Monde

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