Avec de Villepin, Goulard …

Goulard-300x207… et les autres

Alors que l’UMP marche plus que jamais en rang serré, François Goulard fait partie de ces députés de la majorité qui osent encore faire entendre leurs voix. Cet ancien Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche revient sur une personnalisation du régime qui nuit selon lui au jeu démocratique…

 

 

1)  Pouvez-vous nous résumer votre parcours politique ? Comment est née votre vocation d’homme politique ?

Ma vocation est très ancienne. J’étais enfant à l’époque de Mai 68 et je me suis passionné pour la politique à partir de cette période. C’est cette envie qui m’a poussé à faire Sciences-Po puis l’ENA.

Ma carrière politique commence réellement en 1997, lorsque je suis élu député après une phase d’éloignement de la politique. Auparavant je m’étais présenté aux municipales de 1983 et j’avais occupé diverses fonctions dans des cabinets ministériels entre 1986 et 1988. Entre 1989 et 1997, j’ai arrêté la politique pour entrer dans une filiale du groupe Suez. C’est plutôt par hasard que j’ai retrouvé le sentier de la politique. C’est en 1997 que je décide de me consacrer entièrement à la politique en étant élu député du Morbihan sous l’étiquette Démocratie libérale…

2) Quel a été votre mentor à vos débuts en politique ?

J’ai n’ai pas eu vraiment de mentor, j’avais par contre une grande admiration pour le général de Gaulle. Je me définis d’ailleurs avant tout comme un gaulliste libéral. Lorsque j’ai commencé en politique, je me rappelle que j’avais beaucoup de considération pour Raymond Barre, mais à l’époque je ne faisais pas parti des chiraquiens d’origine. Ce qui ne m’a pas empêché de m’entendre très bien avec lui par la suite…

3) Votre carrière s’accélère lorsque Démocratie Libérale rentre dans le giron de l’UMP à partir de 2002 ?

Non, je ne crois pas, mon parcours politique est vraiment lancé à partir de mon élection au poste de député en 1997. Concernant l’UMP, je n’étais d’ailleurs pas au départ un des plus ardents partisans de sa création.  L’UMP est une machine électorale relativement bien organisée, elle a simplifié la vie politique à droite. Au temps d’Alain Juppé, j’étais d’ailleurs membre de la commission exécutive du parti, j’étais secrétaire général adjoint et à l’époque, nous avions une vraie vie au sein du parti.

C’est-à-dire qu’il y avait des débats, des affrontements. Alain Juppé était soucieux de respecter les divergences d’opinion et les règles du parti. Tous les quinze jours, le bureau politique se réunissait pour débattre des grands sujets de société. Tout ceci s’est arrêté depuis. Aujourd’hui l’UMP est une machine réductrice.

4) En 2004, avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP…

Là, le mode de fonctionnement à complètement changé, l’objectif était désormais de servir exclusivement les intérêts d’un homme. Je ne dis pas que ce n’est pas un choix logique et stratégiquement judicieux, je note juste ce changement d’orientation.

5) Aujourd’hui, est-ce que l’UMP a un fonctionnement véritablement démocratique ?

Absolument pas. Il n’y a pas de fonctionnement démocratique. Je dirais que ce n’est pas tellement une question de démocratie, parce qu’il y a toujours des élections. Mais ce que je souhaite dire c’est qu’il n’y a pas de président élu au sein de l’UMP. Le Parti est désormais dirigé depuis l’Elysée.

C’est un vrai changement par rapport à la conception traditionnelle de la présidence de la République, qui a toujours été conçue comme un magistère au dessus des partis. Aujourd’hui le chef de l’Etat reste en quelque sorte chef de son parti. Du coup, l’UMP est devenu un instrument politique et n’est plus ce lieu de débat où des sensibilités différentes pouvaient s’exprimer.

6) Revenons sur votre période ministérielle. Comment devenez-vous secrétaire d’Etat, aux transports et à la mer en 2004 ? On rappelle que vous étiez alors maire de Vannes et député du Morbihan.

Lors de la constitution du gouvernement en avril 2004, Jean-Pierre Raffarin, que je connaissais très bien puisque nous étions ensemble à Démocratie Libérale, m’appelle pour me proposer ce poste. J’étais un député assez actif, à la fois dans l’opposition et après dans la majorité, et je fais donc mon entrée au gouvernement dans un poste intéressant couvrant un vaste domaine technique. Vous vous doutez qu’en ma qualité de breton et de marin, la mer m’a toujours attiré. Mais ça n’a duré qu’un an, ce qui est très court pour un poste ministériel.

7) Pour quelles raisons ?

En 2005, Dominique de Villepin devient Premier Ministre et me propose le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. J’avais plus d’autonomie et cela m’a véritablement passionné. C’est à ce moment que nous avons mis en place l’agence nationale de la recherche et favorisé le rapprochement des différentes institutions de recherche. Nous avons également réalisé un gros travail de fond au niveau de l’orientation. Ce n’était pas là des réformes spectaculaires, il n’y avait aucune volonté de faire de l’affichage politique. J’avais pour mission de ne pas toucher aux grands textes, puisque nous nous trouvions en fin de période et que nous visions avant tout le calme dans un secteur qui a toujours été assez réactif

8 ) A l’instar de Jacques Le Guen, faisiez-vous partie de cette « task force »  dirigée autour de Dominique de Villepin ?

Oui je faisais partie de ces ministres et de ces parlementaires proches de Dominique de Villepin, donc je le voyais très fréquemment. En fin de semaine, nous avions une réunion pour évoquer différents sujets politique et bien sûr tous les sujets sur l’emploi – quand on est chargé de la formation des étudiants, ça parait tout naturel.

9) Quelle est votre ambition aujourd’hui en tant que parlementaire au sein de la majorité, catalogué comme villepiniste ?

Aujourd’hui, en tant que député, je reconnais avoir encore l’ambition de faire évoluer l’action publique, mais cette volonté d’action est quelque peu frustrée. C’est vrai qu’il est plus agréable de pouvoir avoir une intervention directe sur le cours des choses.

10) Vous trouvez que le parlement a un rôle moins important que par le passé ?

En France, il faut savoir que le Parlement n’a jamais eu un rôle très important. On se souvient de la IIIème et de la IVème République, où les majorités successives au Parlement faisaient et défaisaient les gouvernements, mais ce n’est pas pour autant que le Parlement avait un rôle décisif en tant que tel.

Sous la Vème République, on est allé assez loin dans la réduction des libertés du Parlement avec ce que l’on a appelé le parlementarisme rationnalisé. D’ailleurs, contrairement à ce que l’on croit la tradition française n’est pas d’avoir un parlement fort. Certes, elle a longtemps eu un exécutif faible, mais depuis la Vème république, la donne est inversée. L’exécutif est fort, mais le Parlement a toujours une importance relativement faible surtout aujourd’hui. La révision constitutionnelle n’a strictement rien changé. Le Parlement ne joue pas son rôle de contre pouvoir et de vrai pouvoir législatif en France. A titre personnel, je le regrette.

11) Pourtant, vous avez fait partie des députés qui se sont opposés au projet de loi HADOPI : le Parlement a su se faire entendre à ce moment là. Votre avis sur le sujet a-t-il évolué avec la nomination du nouveau Ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand ?

La voix a changé, le ton a changé mais c’est tout. Aujourd’hui, il ne peut plus y avoir de Parlement fort lorsque tous les pouvoirs sont concentrés à l’Elysée. Pour être fort,  le Parlement doit exercer la plénitude de ses attributions, puisque le gouvernement est responsable devant le parlement.

Aujourd’hui les décisions sont prises par des conseillers de l’Elysée, les ministres n’ont qu’un rôle de subalterne pour beaucoup d’entre eux et font au mieux de la figuration – qu’on hésite d’ailleurs parfois à qualifier d’intelligente…

12) Nicolas Sarkozy arbitre bien souvent entre ses super conseillers (Soubie, Levitte, Ouart..) et ses ministres. Un membre du gouvernement n’a-t-il pas dit à un ancien ministre villepiniste, « tu ne reconnaîtrais plus le job »?

Oui, la même chose m’a été dite par des membres du gouvernement actuel et par des gens que je connais très bien puisque j’ai siégé avec eux au gouvernement.

13) Même entre membres du même gouvernement, on a l’impression que les relations sont assez tendues.

C’est  n’est pas nouveau, il y a toujours eu des conflits au sein des gouvernements, tout simplement parce que l’on est soumis à des tensions fortes qui exacerbent les oppositions. Mais aujourd’hui, ce qui est surtout marquant, c’est que les ministres sont en attente de décisions qui viennent de l’Elysée, mais pas forcément du Président et encore moins de Matignon.

Des ministres m’ont racontés qu’ils étaient quelque fois convoqués à des réunions à l’Elysée auxquelles le Premier Ministre ne participait pas. Le Premier Ministre est complètement court-circuité, ce qui est inconcevable quand on lit notre Constitution.

14) Le discours au Congrès, c’est l’affirmation d’un régime présidentialiste. Est ce que vous pensez que le système mis en place par Nicolas Sarkozy, va perdurer ?

Je pense que cela dépendra évidemment beaucoup de la personnalité qui lui succèdera. Il lui faudra beaucoup de détermination s’il a l’intention de revenir à une pratique plus conforme au texte de la Constitution, parce que la personnalisation du pouvoir mise en place par le Chef de l’Etat est une réelle facilité pour l’opinion et les médias. Il faut bien comprendre que l’opinion perçoit l’action gouvernementale à travers les médias et par rien d’autre.

Personne ne lit un texte de loi ou pratiquement personne, personne ne s’informe sur les documents financiers concernant les dépenses publiques de notre pays. Et les médias, qui sont avant tout télévisuels, ont une tendance à la simplification, car un sujet télévisé doit être extrêmement bref, les histoires doivent pouvoir être racontées en quelques mots. Les journalistes ont une tendance naturelle à la simplification : « le président a dit que », « il veut que »…

C’est évidemment plus simple que de décrypter des arbitrages entre membres du gouvernement et du parlement, et c’est beaucoup moins compréhensible dans une démocratie médiatique. Le système actuel est une tentation à laquelle nous aurions du résister, mais il n’empêche que revenir en arrière, sera très difficile, j’en suis persuadé.

15) Que pensez-vous de la stratégie d’ouverture déployée par Nicolas Sarkozy ? Pourra t-on un jour renouer avec l’ouverture pratiquée par le Général de Gaulle ou bien même Valéry Giscard d’Estaing ?

J’y crois modérément, ce n’est pas impossible. Je pense que pour le bon fonctionnement de notre démocratie, il faut une gauche et une droite. De plus, dans un gouvernement, le principe de solidarité peut poser de vrais problèmes. L’ouverture actuelle ressemble plus à du débauchage. Si l’on prend les cas de Besson ou de Bockel, bien qu’anciens socialistes, ils n’ont influé en rien sur la politique gouvernementale. Ce ne sont que des faire-valoir.

16) En ce qui concerne les régionales, comment interprétez-vous les difficultés que rencontre Jacques Le Guen avec les primaires de l’UMP ?

Jacques Le Guen a été désigné par une majorité de militants UMP, et puis une candidate apparait et remet en cause ce scrutin. Nous savons pertinemment qu’elle est envoyée par l’Elysée afin de ne pas laisser un villepiniste conduire la bataille des régionales en Bretagne. C’est également comme une marque de méfiance à l’égard de la classe politique bretonne

17) On se rappelle toujours de cette phrase dans le livre, L’Aube, la nuit et le jour, de Yasmina Reza, dans laquelle Nicolas Sarkozy lâche : « Je me fous des bretons ». Vous pensez qu’il a des difficultés à comprendre cette région ?

Oui, car dans une région comme la Bretagne, on accepte difficilement sa pratique du pouvoir. Nicolas Sarkozy parle aux électeurs en fonction de leur qualité, un jour de consommateur, un autre de gens soucieux de leur sécurité, à la manière dont le JT leur parle, et il n’a jamais tenu compte de la dimension territoriale. Ensuite, la Bretagne est une terre d’accueil, et les thèmes d’immigration ou de sécurité y passent donc plus difficilement.

18) Que pensez-vous de la crise que rencontre le monde de l’agriculture et de la pêche?

Concernant la pêche, il y en a plusieurs types, mais il est certain que la pêche hauturière pour une région comme la Bretagne, ou pour la France en général, n’a pas devant elle un avenir très réjouissant.  Ce type de pêche, où les navires parcourent de longues distances, aura du mal à subsister dans des ports français, pour des raisons liées au coût du carburant. Il faut donc ménager les transitions et permettre les reconversions. L’Europe a été plutôt mauvaise dans ce domaine là, avec des normes et des règles qui n’étaient pas très judicieuses et qui n’ont rien arrangé à l’évolution de ce secteur.

19) Concernant l’agriculture, c’est actuellement la crise du lait, un label va être apposé, est-ce une bonne solution ? Comment sortir de cette crise laitière ?

Autant on attache de l’importance à l’origine de la viande, autant pour le lait cela paraît moins évident. Aujourd’hui, nous avons une baisse des cours mondiaux et des capacités de production aux coûts élevés, il faut donc envisager une réduction de la production française, faute de quoi nous ne trouverons jamais un équilibre satisfaisant.

On peut sans doute le déplorer mais aujourd’hui il y a une évolution lourde en Europe qui est due à l’amenuisement progressif de la Politique Agricole Commune (PAC), et nos partenaires européens n’admettront pas éternellement qu’on y consacre une part aussi significative du budget. Il faut donc s’y préparer en mettant fin d’abord aux inégalités flagrantes dans la répartition des aides européennes. Je suis par exemple très choqué qu’on consacre l’essentiel des aides aux céréales, ça n’a pas de sens, on aurait du anticiper plus rapidement les évolutions de ce secteur.

L’agriculture est une activité économique, ce sont des métiers, ils doivent trouver leur justification économique dans le monde actuel. Cependant cela ne marchera pas sur n’importe quelle production et dans n’importe quelles conditions. Prenons l’exemple du lait, son prix va immanquablement se caler sur le prix mondial; on peut donc produire peut être encore à ces conditions en partie en France, mais on peut aussi développer d’autres productions, parce que les fromages non industriels sont très consommés et sont fabriqués à partir de lait produit localement.

Nous avons encore beaucoup d’évolutions à conduire, et il ne faut surtout pas perdre de vue que l’on s’éloigne du modèle économique traditionnel où les produits de vente de la production agricole devaient toujours permettre d’assurer les ressources des agriculteurs. L’Etat doit être présent pour aménager ces transitions, ces reconversions.

20) Que pensez-vous de la position de Bruno Le Maire sur les subventions?

Il a eu raison, il a tenu un langage de vérité. Certes, il y a une marge de discussion avec la Commission, mais rejeter d’emblée le principe des sanctions c’est idiot, parce qu’en tout état de cause elles seront appliquées. Son raisonnement est donc plutôt logique.

21) Enfin, quel est votre sentiment sur le procès Clearstream ? Pensez-vous qu’il y a un risque d’instrumentalisation de la Justice ?

Il y a une volonté manifeste d’utilisation politique de ce procès. C’est quand même assez inouï que le Procureur de Paris s’inviter sur une radio pour donner son sentiment. Nous avons vu également des éléments d’instructions divulgués dans la presse quelques semaines avant le début du procès. Il y avait de toute évidence une volonté d’influencer les esprits bien avant le début du procès. Il y a des manœuvres délibérées pour créer un climat défavorable à Dominique de Villepin.

22) Jean-Pierre Grand parlait d’un « Soljenitsyne de notre époque ». Pensez-vous qu’il est déjà condamné par avance ?

Non, absolument pas, et d’ailleurs s’il l’était, tous ces efforts pour le discréditer seraient superflus. Et au contraire, ces éléments fragilisent le procès. Je suis convaincu que Dominique de Villepin sera innocenté.

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