Lisbonne : trahison présidentielle

 

 

Les chefs d’Etat des 27 pays de l’Union européenne ont approuvé le 19 octobre 2007 un traité européen qualifié de « simplifié » visant à remplacer la défunte Constitution européenne. Ce projet qui doit être ratifié par chacun des pays européens propose la mise en œuvre d’une Europe supranationale.

Le moment est donc venu de reprendre avec énergie et détermination le combat pour la construction d’une autre Europe édifiée autour d’un texte simple et compréhensible afin d’aboutir à un consensus le plus large possible. Cette Europe à laquelle une majorité aspire laisse chaque Nation s’administrer comme bon lui semble autour de valeurs partagées, dans un environnement délimité géographiquement, favorise la mise en commun des compétences et moyens pour organiser l’Europe autour de projets qui ne peuvent être menés à terme que par une entente entre Etats. Enfin, elle met un terme à cette boulimie normative de Bruxelles et organise une politique étrangère réellement indépendante et une défense libérée de la tutelle de l’Otan.

Les 15 449 508 Français qui ont mis un terme à l’aventure giscardienne tendant à orienter la construction européenne vers plus de fédéralisme ; à inscrire dans le marbre une vision économique ultralibérale ; à réintégrer les forces armées françaises dans l’OTAN mettant ainsi un terme à un demi-siècle d’indépendance nationale, sont honteusement trahis.

Le sont également les 12 808 270 qui ont accepté de suivre malgré tout le clan du « oui ». S’il est permis à chacun d’entre-nous de s’exprimer librement lors d’une consultation, notamment référendaire, il est inconcevable pour l’ensemble des démocrates que le vote majoritaire soit ainsi bafoué.

 

Trahison présidentielle

Le candidat Sarkozy avait annoncé, devant plusieurs millions de téléspectateurs, qu’il entendait prendre en compte le « non » largement gagnant ce 29 mai 2005. Il s’était à plusieurs reprises opposé à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne en proposant, en lieu et place, une coopération renforcée.

Aujourd’hui, le compromis de Lisbonne voulu par le nouveau Président de la république replace le projet supranational giscardien en orbite. Certes, il ne s’agit plus dans la forme d’un texte établissant une constitution européenne. Le « mini-traité » se veut indolore, incolore, inodore, mais, sous l’aspect technique dont il se pare, il nous ressert le même plat.

Il n’y a pas de mot assez fort pour qualifier cette démarche. Pour le moins, il s’agit d’une trahison présidentielle.

Mais, Nicolas Sarkozy est-il le seul à blâmer dans cette affaire ? Non.

Nombre de parlementaires, de droite, de gauche et d’ailleurs, gérant au mieux leur « petite carrière », n’hésitent pas à tromper, eux aussi, leurs propres électeurs. Ils ont réclamé leurs suffrages hier pour mieux les museler aujourd’hui.

 

De revirements en revirements

En 2005, les gaullistes de conviction ont tous apprécié le positionnement de certaines personnalités politiques et le talent qu’elles ont fait preuve pour remporter cette victoire historique. Chacun peut se remémorer les interventions des Gallo, Chevènement, Pasqua, Dupont-Aignan, Fabius…

Au PS, Le premier secrétaire a déclaré que les socialistes « ne s’opposeront pas » au nouveau traité européen. Même Ségolène Royal, qui avait annoncé, lorsqu’elle était candidate à la Présidence, que le référendum sur cette question était une « obligation démocratique », suit cette ligne.

Laurent Fabius, partisan du non lors du référendum de 2005, avait considéré un temps l’exigence d’un référendum comme un facteur d’unité du PS. « Il faut une position simple : les Français ont rejeté le précédent traité par un référendum, il faut qu’il y ait un référendum sur le nouveau traité » précise-t-il aujourd’hui. Pour autant, est-il définitivement réfractaire à la position uniforme du PS et de Nicolas Sarkozy ? L’eurodéputé Vincent Peillon, favorable au non en 2005, a pris cette fois position sans ambiguïté pour le oui. Jean-Pierre Chevènement hésite encore entre l’intérêt du parti et le respect de son engagement fondamental.

Max Gallo est devenu, l’élection présidentielle étant passée par là, le président du fan club Sarkoziste. « Les élites paraissent aveugles : l’Europe est la dernière utopie, le dernier alibi, la dernière idéologie unissant les socialistes et les libéraux, qui communient – avec des mots différents – devant les mêmes divinités : l’économie et la mondialisation. » écrivait-il pourtant dans une tribune intitulée Impasse et impostures le 17 décembre 2004 dans le Figaro.

 

Un nouveau texte ? Non, le même

Aujourd’hui, seulement deux ans après, que reste-t-il de cette épopée ? Presque rien. A ce jour, seul Nicolas Dupont-Aignan, député gaulliste et républicain, porte encore l’étendard de la résistance. Espérons qu’il sera rejoint demain par d’autres.

Car le document présenté à Lisbonne reprend toutes les innovations prévues dans le traité rejeté en 2005. Les experts juridiques l’affirment, les politiques, pour peu qu’ils aient pris soin de l’analyser, le reconnaissent et les chefs d’Etats européen le clament et s’en réjouissent.

« La substance de la Constitution est maintenue. C’est un fait » déclare Angela Merkel, Chancelière d’Allemagne[1] ; « Nous n’avons pas abandonné un seul point essentiel de la Constitution… C’est sans aucun doute bien plus qu’un traité. C’est un projet de caractère fondateur, un traité pour une nouvelle Europe » se réjouit Jose Luis Zapatero, Premier Ministre du Royaume d’Espagne[2] ; « Ainsi l’opinion publique serait-elle conduite à adopter, sans le savoir, les dispositions que l’on n’ose pas lui présenter en direct » admet Valéry Giscard d’Estaing, père du premier texte rejeté[3] ; « Bien entendu, il y aura des transferts de souveraineté. Mais serais-je intelligent d’attirer l’attention du public sur ce fait ? » avoue Jean Claude Juncker, Premier Ministre du GD de Luxembourg.

 

Cartons rouges

Le manque de courage politique est criant. Le 18 juin 2005, j’avais adressé à quelques députés représentant un panel des groupes politiques à l’Assemblée Nationale une lettre dans laquelle je précisais : « Malgré le rejet sans ambiguïté du projet de constitution européenne par le peuple français, mais aussi par celui des Pays-Bas, tous deux pays fondateurs de l’Europe, rejet porteur d’une véritable onde de choc salutaire pour mettre un terme à la politique européenne (Et non à l’Europe !) pratiquée depuis 20 ans, les États-majors des partis politiques promoteurs du « oui », mais également les différents responsables des institutions européennes, tentent de mettre en œuvre certaines mesures contenues dans le projet de traité constitutionnel ». Il s’agissait de la proposition d’Hervé de Charrette, membre éminent de l’UMP, de mettre en place certaines mesures du défunt traité en les faisant valider par voie parlementaire. Les réponses des défenseurs du « oui » sont sans ambiguïté : « Le Traité constitutionnel européen a été rejeté le29 mai dernier par les Français mais ce texte contenait certains avancées démocratiques indéniables qu’il serait dommageable de ne pas reprendre pour le bon fonctionnement de l’Union européenne… Toutefois avant de prendre une telle décision, les citoyens européens devraient être consultés. » me répond alors André Santini alors UDF, aujourd’hui membre du gouvernement Fillon.

« Il est évident que toutes les forces politiques de ce pays et plus particulièrement les partis qui ont vocation à exercer des responsabilités doivent tirer les conséquences de ce vote » admettait Manuel Valls, toujours PS mais attiré par les sirènes sarkozistes ; « Je pense qu’il ne faut pas contourner la décision des Français. Ce que les Français ont décidé, ils sont seuls à pouvoir, le cas échéant, le changer… » s’avançait François Bayrou, aujourd’hui favorable à la seule voie parlementaire pour la ratification du projet de Lisbonne ; « Les mesures[4] ne me choquent pas mais elles ne peuvent être prises aujourd’hui… même en catimini ! » réagissait Noël Mamère pour les Verts. Aujourd’hui il se renie.

 

Les gaullistes authentiques, ceux qui n’hésitent pas à militer pour la France, ceux qui rejettent définitivement la « politicaillerie » qui alimente la plus grande partie de nos élites, seront présents dans le combat qui s’annonce. Et ce n’est pas la précipitation calculatrice de l’Elysée et des partis dominants qui nous arrêtera.

Face au « non » du peuple français, le « oui » bien pâle des parlementaires qui s’apprêtent à trahir ne représente rien et ne pèsera pas bien lourd lorsque la colère, en guise de réaction, grondera.

 

Alain KERHERVE


[1] The Daily Telegraph, 29 juin 2007

[2] Discours du 27 juin 2007

[3] Le Monde du14 juin 2007 et le « Sunday Telegraph » du 1er juillet 2007)

[4] Celles proposées alors par Hervé de Charrette

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